On reconnaît la référence à l’Ecole de New York dans une démarche qui se préoccupe moins de la place du spectateur que de la dimension expérimentale révélatrice de l’instant de création. À l’instar de la définition de l’Action Painting mise en place par Rosenberg, la toile se conçoit comme le lieu d’un combat, comme une « arène », sur laquelle le peintre cherche à faire émerger l’Art.
L’œuvre finale n’a pas été envisagée pour elle-même, elle apparaît plutôt comme le résultat d’un rituel à vocation esthétique. C’est donc toute la dimension néo-romantique de l’Expressionnisme Abstrait, dimension attaquée par le Pop Art qui lui succédera, qui est ici revisitée, voire même réaffirmée avec une grande radicalité.
On comprend comment, sur ce premier terreau, la personnalité et l’œuvre de A. Le Méléder pourront être singulièrement réorientées à la suite de l’épreuve de l’incendie de son atelier, incendie dans lequel elle aura vu disparaître une grande part de sa création initiale.
Passés les temps du deuil, l’artiste se remet au travail en radicalisant encore davantage sa démarche. En effet, si le tableau révèle sa grande précarité matérielle et esthétique dans l’épreuve du feu, il confirme à l’inverse, la dimension inaliénable de son statut de trace d’un rituel d’avènement.
Ce qui fut perdu dans les flammes n’était peut-être que de l’ordre de la composition hasardeuse et singulière. C’est dans cet esprit que A. Le Méléder va réorienter son geste, afin d’abandonner sur sa route la dimension anecdotique de l’œuvre. Ne subsiste que le geste hallucinatoire qui désigne la scène vide du tableau comme le site d’une confrontation entre le regard et l’irreprésentable qui l’excède.
Aujourd’hui, A. Le Méléder répète à l’infini un geste identique, celui d’un marquage spatio-temporel: une toile carrée, pensée à l’aune des mesures du corps humain, est accrochée au mur. À l’issu d’un travail de concentration intense, l’artiste pose à la droite du tableau une brève trace de pinceau. Puis elle fait pivoter le cadre d’un quart de tour, avant de renouveler son geste. Dans une dynamique giratoire, l’œuvre pivote sur elle-même autant de fois qu’il sera nécessaire à l’artiste pour laisser monter les quatre taches colorées délimitant l’arène vide et hallucinatoire du tableau.
Alors que dans ses premiers tableaux, A. Le Méléder «analysait» la couleur en dissociant les gammes, la stratégie de recouvrement répétitif qu’elle met dorénavant en place opère une fusion colorée qui donne naissance à une invariable tache rouge.
Interrogée sur cette insistance du rouge et de la tache, l’artiste évoque un texte de W. Benjamin: «le signe est apposé de l’extérieur, tandis que la tache ressort de l’intérieur».
Si bien que tout se passe comme si le rituel conçu par A. Le Méléder cherchait à appeler à elle la vie qui se tient dissimulée à l’intérieur du tableau. Dans un mouvement giratoire hypnotique, l’artiste incarne littéralement le tableau, au sens où elle lui fait monter «le rouge aux joues».
Dans un véritable corps à corps entre peintre et toile, A. Le Méléder donne à comprendre la jouissance en peinture, n’abandonnant au spectateur que les traces de cette exaltation trop secrète et intime pour être partagée en direct.
Alix Le Méléder
— Sans titre, 2006. Huile sur toile. 200 x 200 cm.
— Sans titre, 2006. Huile sur toile. 200 x 200 cm.
— Sans titre, 2006. Huile sur toile. 3 x (60 x 60) cm.
— Sans titre, 2006. Huile sur toile. 80 x 80 cm.