Astrid Klein, Zbigniew Libera, Martha Rosler
Peinture d’histoire(s)
Héritier formel de la modernité, l’art contemporain (qui l’est aussi de l’hégémonie des médias) n’a eu de cesse de renouer le fil de l’art ancien (la « peinture »). Il est d’autre part tout entier « photographique », même et surtout s’il ne passe pas par la photo. Autrement dit, la peinture ne revient pas, puisqu’elle n’est jamais partie … et la photo a de plus en plus rar ement l’appareil pour appareil … Il n’y a – de plus en plus – que des « images » (et les nouvelles querelles qui vont avec). Des images, mais de quoi ? Réel, réalité, actualité, Histoire … ? «Covering the real» s’intitulait cet été une exposition (art et image de presse de Warhol à Tillmans) au Kunstmuseum de Bâle. That is the question …
Astrid Klein, Zbigniew Libera, Martha Rosler, en donnant à voir des « photos » découpées et montées, réinterprétées par des figurants ou agrandies et recadrées, sont très exactement des « peintres d’histoire » (le plus noble des genres picturaux du passé) qui déconstruisent les « images justes » que prétendent nous fournir les médias et leur nouvelle théologie (dans les deux sens : vous souvenez-vous, dès le 11 septembre 2001, de la tentative américaine de faire disparaître, autant que les cadavres, le viol des tours derrière la romantique cathédrale effondrée du World Trade Center, au même moment du jeu réussi de Ben Laden avec l’imagerie pieuse des rois mages ?). L’une (Rosler) réalise par le collage et le photomontage (la guerre à domicile) ce que l’autre (Libera) établit par le remake des grandes fresques que sont désormais les icônes de presse (invasion hitlérienne de la Pologne, fillette vietnamienne exposée au napalm, exposition du cadavre du Che, etc) : juste des images « montées pour démonter » la mécanique, mensongère, de l’image juste. La troisième (Klein) restaure l’aura dans le plus démonétisé, le moins légitime des matériaux : le roman photo. Celle des femmes autant que celle de la photo.
USA, Pologne, Allemagne : Martha Rosler (1943), Zbigniew Libera (1959), Astrid Klein (1951) sont nés à l’art dans trois « histoires » très différentes. Martha Rosler, artiste féministe (Beauty knows no pain) dans les Etats-Unis de la fin des sixties : Bringing the war home : House Beautiful (1967-1972) fait se catapulter guerre du Vietnam et « société de consommation » ; ses derniers travaux guerre d’Irak et « société de contrôle » (à la galerie Anne de Villepoix, les deux séries sont pour la première fois présentées en regard). Zbigniew Libera dans la Pologne du « socialisme réel » : il devint célèbre bien au-delà du monde de l’art, en 1996, avec sa pièce Lego : camp de concentration : le mélange des deux interrogeait les rituels de la mémoire et de l’oubli. Ses Epreuves positives participent de la même interrogation : que voiton exactement dans ces images devenues clichés, dans ces icônes qu’on ne voit plus ? « Entre » les deux, Astrid Klein, dans une Allemagne d’après-guerre et d’après 68, face à une Histoire déniée (celle qu’analyse au même moment le cinéma d’un Fassbinder), découpe (dans une matière « française » — on y voit passer Brigitte Bardot) et réhabilite les petites « histoires » dans la grande.
Un art politique, des artistes engagés ? Plutôt une politisation de l’art face au « choc des photos », à la commémoration instantanée de la catastrophe qui est devenu le régime ordinaire des médias. Je pasticherais Jean-Luc Godard une seconde fois : la morale est affaire de travelling – de photomontage, de remake, de ciseaux …
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Maxence Alcalde sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.