De la récurrence avant toute chose: les nus féminins sont partout. Corps fermes et allongés, recourbés ou bien assis, accroupis ou encore recroquevillés se juxtaposent de toiles en toiles et orchestrent par-delà leur nudité un effet de répétition énigmatique qui flirte avec le dédoublement. De loin, leurs silhouettes réunies courtisent la solide composition académique. De près, il en va tout autrement: stylisation formelle et femmes sans visage, véritables mannequins de chair, font fi de nos certitudes et interpellent le regard dés lors désarçonné.
Les complexions se devinent comme un véritable vocabulaire formel que l’artiste conjugue sous différents modes. De part et d’autre de la galerie, ce sont les mêmes galbes de reins, les mêmes ventres arrondis, les mêmes cuisses écartées et, contre toute attente, le même modèle qui s’offrent à l’œil. La citation, quand bien même tacite, s’impose par à -coups et renvoie au Bain turc d’Ingres ou encore à L’Origine du monde de Courbet.
Prescrite à haute dose, elle s’insuffle de manière détournée, au travers de la figure mystérieuse de la raie, «si bien» peinte par Chardin à son époque. Aux cotés de cette rencontre des corps, le poisson fait irruption. Rapportée tel un collage, cette ouverture béante, véritable apparition incongrue à mi-chemin entre le beau et le laid, renforce le caractère éminemment symbolique de ces scènes somme toute prosaïques. La métaphore du sexe féminin se fait évidente. Le Surréalisme n’a de cesse d’étaler son aura.
Parfois, un homme surgit, que ce soit dans une scène proche du Déjeuner sur l’herbe de Manet, ou bien au sein d’une architecture savamment compartimentée. Projection de l’artiste, il dirige notre regard et notre attention, comme une lunette aveugle, un miroir.
Les paysages ne sont pas en reste: falaise d’Etretat peinte sur le motif, comme l’avait fait Courbet en son temps. Marécages également que l’on retrouve par ailleurs dans d’autres toiles gorgées de femmes, alors utilisés comme arrière-plan. Natures mortes enfin: poissons, poivrons et raie, comme autant de prétextes à s’attarder sur le volume, la lumière et la couleur dans une dérangeante intimité.
Alex Amman peint sur toile et sur bois, des grands et des petits formats, à l’huile et à la résine. Couches picturales épaisses et nombreux repentirs témoignent d’une œuvre qui, dans sa matérialité propre, renoue avec une peinture française considérée de nos jours comme alors à son apogée. Mais Alex Amann est autrichien, et dans les raies sanglantes se découvre aussi la trace d’un activisme viennois, estampillé Muehl ou encore Nitsch. D’un plagiat grossier, il n’en est rien. Sous la beauté rassurante de tableaux séculaires se lit autre chose : de la violence à l’état pictural.
Alex Amann
— Sans titre, 2007. Huile et résine sur toile. 25 x 20 cm.
— Sans titre, 2007. Huile et résine sur toile. 83 x 138 cm.
— Sans titre, 2007. Huile et résine sur toile. 160 x 250 cm.
— Sans titre, 2007. Huile et résine sur toile. 96 x 222 cm.