Le spectacle démarre sur la vidéo d’une poudre blanche qui, sujette à une oscillation, tremble. Des visages y sont dessinés anticipant ce qui va se dérouler sur scène avec des corps inanimés, devenant animés, et deux danseurs prisonniers d’eux-mêmes essayant d’acquérir une liberté de mouvements.
Quelques bruits vocaux débutent le spectacle. L’expression des danseurs se fait «vocalise» pour apprivoiser leur corps avant d’investir un espace dans sa profondeur géométrique. Puis le silence des corps s’exprime en musique. L’espace, tout au long du spectacle, est exploré, au-delà de la présence corporelle des danseurs, par la sonorité et la musique. Corps et musique se lient pour investir un espace où le vide manque de présence, où des objets, musicaux et domestiques, délimitent un espace dans lequel les danseurs cherchent leur place.
Ils déambulent sur scène comme à la recherche de leur espace, de leur équilibre, un équilibre bousculé par une force d’attraction dirigée autant vers eux que vers la scène faisant de leurs corps, un élément comprimé, ramassé essayant de s’étendre. Josef Nadj continue sa recherche artistique dans une élaboration, une fécondation des corps sur scène. Ce sont deux danseurs qui, déjà apprivoisés l’un par rapport à l’autre, investissent l’espace pour le découvrir. C’est aussi l’éveil de corps voulant prendre conscience d’eux-mêmes. A tâtons, les danseurs prennent possession de l’espace par des mouvements sans grâce ni fluidité.
Les danseurs, comme des chenilles prêtes à devenir papillons, esquissent des mouvements des membres et du tronc, luttant presque contre une force d’attraction qui s’exerce contre eux. Le tronc semble être un aimant dont les membres supérieurs essaient de disputer la suprématie. Les mouvements sont courts, hachés, brisés, presque hésitants.
C’est aussi une invitation à une double exploration selon les axes intérieur-extérieur, intime-extime. Il s’agit de plonger dans les différentes articulations du corps par le biais d’une gestuelle aussi décomposée que possible pour atteindre un espace extérieur à soi. Et trouver un équilibre des mouvements pour appréhender dans sa globalité un espace extérieur. La musique fait le lien entre ces deux univers. L’intérieur de soi, par le biais de la gestuelle des danseurs, se projette dans un extérieur dont la musique garantie l’unité.
La musique est marquée par un tempo soutenu dans laquelle les percussions sont l’ossature. Batterie, tambourins, saxophone, timbales nourrissent le spectacle d’un rythme vif à musicalité variable avec des sons roulant une mécanique toujours cadencée.
Les visages des danseurs sont couverts d’un masque gris puis noir comme pour ne montrer que leurs corps. Des corps sans visages qui déambulent, aux membres étirés, allongés ou repliés comme pour tester l’élasticité de l’espace. Les danseurs se mettent aussi à genoux pour élaborer des mouvements horizontaux le long de la scène en appui des mains et des bras.
L’autre, cet autre danseur, est dès le départ compagnon, repère, seule «entité» connue. Malgré des mouvements disloqués dont la grâce est totalement absente, les danseurs arrivent à se retrouver en symétrie sur certains mouvements. Une symétrie qui est comme un résumé d’une rencontre corporelle hasardeuse, comme des bouts d’ordre dans du désordre dans lesquels les bras et jambes des danseurs sont des pivots, des éléments moteurs. Ne restant jamais statiques, ils déploient une énergie tendue. Impliquant tout le corps dans une gestuelle sous-tension de par une participation massive de l’ensemble du corps tenant certaines parties en équilibre alors que d’autres bougent lentement, les danseurs décomposent tout un processus d’appréhension d’un corps dans un espace.
La gestuelle se nourrit de mouvements essentiellement petits dans leur granularité mais amples dans leur plénitude. Le petit nourrissant le grand, les petits déplacements deviennent de grands mouvements. De biais, en frontal, latéraux ou en diagonal, des tremblements parcourent le corps des danseurs donnant une dynamique à la fois oscillante et nerveuse à leurs mouvements.
Le spectacle est le processus d’une libération, d’un apprivoisement entre espace et corps. A l’opposé de bien des danses contemporaines qui font parfois de chaque danseur une entité autonome, ici l’autre devient un appui, un repère, presque un compagnon de route comme dans cette scène où les deux danseurs miment ensemble le fait de boire autour de verres remplis de poudre blanche.