Jean-Luc Bichaud présente sept jardins suspendus. Ces bassins, alimentés en eau, sont des plateaux noirs tenus par des fils. Un alambic de tubes à essais s’entortille au dessus de ces paysages montagneux. Il laisse perler une pluie au compte goutte. L’enchevêtrement des fils distille une eau déminéralisée fonctionnant en circuit fermé. L’espace est colonisé par ces plateformes mates et aériennes, au dessus desquelles flotte un imbroglio de tuyaux de jardinerie transparents, de raccords, de dérivateurs et de goutte-à-gouttes oranges. Ce déversement embrouillé mais organisé, dévale du plafond et s’invite en haut de ces reliefs modélisés. Cet écosystème ressemble à une maquette indiquant les courbes de niveau géologique. Sa forme modélisée contraste avec sa portée poétique et évocatrice.
Tout cet imbroglio n’a qu’un seul but au départ, celui de créer un nuage artificiel. La pelote de tuyaux embrouillés, catalyseur et échangeur d’atmosphère, est une machinerie contemplative et onirique. Le nuage est un pipeline relié par des lianes en fil de pêche, il alimente un circuit fonctionnant grâce à une pompe d’aquarium. La main de l’artiste dispose des éléments préfabriqués, il leur insuffle de la vie et les transforme en œuvre d’art. Une simple bassine de jardin à l’envers, un moteur d’aquariophilie, du fil transparent, des tuyaux d’arrosages, des goutte-à-gouttes, sont assemblés pour créer une installation rivalisant avec les plus belles peintures chinoises plongées dans des brumes épaisses.
Curieusement l’aspect absurde de l’installation est la pierre angulaire de la proposition initiales. De l’aveu même de l’artiste, ce «Paysage de fantaisies» est “une machine à produire de l’absurde”. Ce n’est pas par hasard si l’on retrouve encore une fois, ce mouvement giratoire clos sur lui même. Chez Jean-Luc Bichaud la circulation est toujours synonyme d’impasse, que ce soit physiquement ou mentalement. Ces sept Jardins de Babylone rejouent l’aliénation du Jardin de propreté (2003), où un paillasson végétal, labyrinthique et géant encerclait le rond point de la cour central de la Cité universitaire de Paris. Mais ici, contrairement aux travaux précédents, la pièce propose des pistes de lecture dépassant le vertige des déambulations carcérales. Le nuage est autant une forme qu’un postulat. Contrairement aux cages de verre des Aquariums, ou au labyrinthe végétal, il flotte dans l’espace d’exposition et tournoie à l’intérieur de sa propre robinetterie. Il parvient à proposer une promenade plus libre et un peu moins dirigée, profitons-en, l’échappée est belle.
La route de l’eau empreinte une route de la soie. La toile se tisse et laisse goutter les larmes d’eau dans un bassin de rétention transformé en crachoir. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc… Supplice chinois ou paysage chinois? Hybridation arachnéenne autant qu’hydraulique, le nuage se répand en se concentrant. Cette proposition nodale fait la part belle à ces montagnes russes qui dégringolent les unes sur les autres. Les échangeurs se changent en bretelles, ils aiguillent l’eau, la filtre et la stérilise. Le paysage est un grand manège paradoxalement éteint. Étonnamment sec, dénué de tout terreau, de tout avenir, il tourne à vide dans une eau stérile. Il interdit toute forme de vie, au mieux, ici ou là se forme de la mousse à cause des remous, aquatique il est paradoxalement lunaire et désertique.
La fantaisie indiquée dans le titre joue pourtant pleinement son rôle et participe à l’émerveillement général. Loin du modèle philosophique décrit par Hubert Damisch, le nuage que modélise Bichaud est avant tout synonyme de transformation. Élément d’étonnement, de conquête et de séduction, il est à l’image de Zeus. Le roi de l’Olympe n’hésite pas à se parer d’un petit cumulus pour étreindre la belle Io. L’exposition montre une esthétique du tube à essai fabriquant des rêves en forme de rébus, c’est tout ce programme qu’il faut suivre à la trace pour apprécier le spectacle et démêler le nœud de la proposition.
English translation : Rose Marie Barrientos
Traducciòn española : Maïté Diaz Gonzales
Jean-Luc Bichaud
— Les Hauts-reliefs, 2006. Installation.
— Les Hauts-reliefs, n.d. Dessins.