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Pavillons, Nefs et Peintures furtives

PGéraldine Selin
@12 Jan 2008

Les derniers travaux de Daniel Dezeuze, membre actif, au début des années 1970, du groupe Support/Surface pour lequel la peinture devait être interrogée par elle-même, par ses constituants et caractéristiques matériels.

Le nom de Daniel Dezeuze est lié au groupe Support/Surface (né en 1970 mais éclaté en 1971) que l’on range dans la catégorie des minimalismes européens. Pour Dezeuze comme pour Claude Viallat ou Louis Cane, la peinture doit être interrogée par elle-même, c’est-à-dire par ses constituants, par ses caractéristiques matérielles. La théorie minimaliste est affaire d’auto-référentialité, de tautologie. On entend l’écho de la célèbre phrase de Frank Stella : « What you see is what you see » (Ce qui est à voir est ce que vous voyez). Mais que voit-on lorsqu’on regarde des œuvres de Daniel Dezeuze? N’y a-t-il à voir que des formes évidentes? Les Châssis de 1967 sont devenus emblèmes de la déconstruction de l’illusion picturale. Mais, dans ces derniers comme dans les Echelles (grilles en lattes de bois), n’y a-t-il rien d’autre que des lamelles de bois croisées délimitant des zones vides?

L’exposition consacrée à Daniel Dezeuze par la galerie Templon fait suite à la rétrospective réalisée à Strasbourg l’été dernier. Certaines œuvres, comme le faisaient celles des années soixante-dix, brouillent les frontières des catégories de la peinture et de la sculpture. Les Treillis extensibles reviennent, composés non plus de lattes mais de carrelets, et travaillés par la couleur. Une autre série de treillis peints, chacun enserré dans l’étau d’un établi, forme un alignement au fond de la galerie, non loin du mur: ce sont les Peintures sur chevalet, autre tension entre fenêtre et barrière. Sont également présentées des Flèches ou Peintures furtives. Par la juxtaposition de baguettes crantées colorées décrivant une double pointe plaquée contre le mur, la Flèche oscille entre l’évocation d’une fente et celle d’un renflement.

Les œuvres les plus récentes questionnent toujours l’ambiguïté de la surface et du volume mais de manière différente, peut-être davantage dans le registre de l’installation.

Les Pavillons sont réalisés à partir d’un matériau flexible et tonique, des plaques de polyéthylène évidées comme du grillage ou des barrières de jardin. Chaque panneau peint est accroché au mur à cinquante centimètres du sol, recourbé sur lui-même comme une hotte percée. Les œuvres placées à intervalle régulier évoquent une frise de drapeaux, de « pavillons », comme ces pièces d’étoffe que l’on hisse sur un navire.

Les mêmes panneaux ajourés, mais cette fois non peints, sont utilisés pour construire les Nefs. Deux grilles verticales incurvées entourent une autre enroulée sur elle-même et fixée à l’une des deux extrémités de la forme Nef. Entre sculptures et installation, ces Nefs blanches posées sur le sol sont comme des déhiscences,  » nasses d’espace et puits de lumière  » selon Jean-Pierre Greff (Nefs et polychromies). Elles ont quelque chose de l’éclosion, et, en même temps, par une même orientation, semblent fendre l’air, pointer une direction. Ici, point d’eau pour la coque d’un navire, mais une lumière dans un espace presque vide aux murs bancs. Dans le travail de Daniel Dezeuze, des débuts jusqu’aux Nefs d’aujourd’hui, existe un questionnement continu: celui du vide comme création d’espace et de lumière.

Par leur proximité, par leur mise en scène, les Pavillons et les Nefs construisent un lieu qui participe du monument religieux et du navire. Les Pavillons colorés communiquent aux Nefs l’allusion des étendards. Ces dernières font glisser les premiers vers la lumière du vitrail. La galerie est transformée en vaisseau d’air et de lumière.

Par la complexité des reflets d’une plaque sur l’autre, entre les jours de l’une et les ombres de l’autre, la blancheur des Nefs, paradoxalement, suggère la pénombre créée par les persiennes ou les cloisons ajourées qui filtrent une lumière trop vive. Elle communique l’atmosphère feutrée des parloirs.

Les choses ne sont donc pas si simples. La simplicité de la forme ne signifie pas simplicité de l’expérience. Les œuvres de Dezeuze, si bien visibles, révèlent la complexité du voir. Elles montrent que le voir ne se limite pas à ce qui est clairement visible, à ce qui est nommable. Car ce que nous voyons, c’est « ce qui nous regarde » (Georges Didi-Huberman). L’acte du voir ne se borne pas à bien voir. Il engage du sujet, il suppose une intersubjectivité. Parler d’un voir alors ne consiste pas seulement à énoncer ce qu’on peut voir, c’est aussi réfléchir sur ce qu’on nomme, et aller vers ce qu’on ne peut pas nommer, qui nous concerne.
 

Daniel Dezeuze
Sont exposés cinq types d’œuvres
— Nefs, 2000-2001. Panneaux de polyéthylène blanc. 122 x 232 x 63 cm
— Pavillons, 2000. Panneaux de polyéthylène peints. Environ 120 x 110 x 100 cm.
— Peintures sur chevalet, 1999. Peintures à l’huile sur bois. 185 x 60 x 64 cm.
— Flèches ou Peintures furtives, 1999. Bois peint et lazuré. 300 x 25,5 x 5,5 cm.
— Treillis extensibles, 1999. Peinture glycérophtalique sur bois, 155 x 155 x 5,5 cm.

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