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Paul-Armand Gette

Je crois le public beaucoup plus timide qu’hypocrite. L’élargissement des fantasmes serait un beau programme pour un artiste. J’aime beaucoup l’expression familière «faire son cinéma». Si ce que je montre au public le conduit sur cette voie, alors je suis comblé...

Diane Brousse. On peut voir actuellement quelques unes de vos œuvres, issues du Fonds national d’art contemporain au Mamco de Genève. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Paul-Armand Gette. Quelque chose qui n’a pas un lien direct avec l’objet de cette exposition. Sur la quarantaine d’artistes qu’elle comporte, il n’y a pas une seule femme ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Dans le genre, c’est un record ! Voilà un beau sujet de réflexion pour la critique.

Vous qui travaillez sur les débordements et ces multiples aspects, sur la participation du modèle, lui donner une liberté c’est une façon pour vous de laisser place à l’imprévu ?
Paul-Armand Gette. C’est surtout une façon de changer mon regard sur les êtres. C’est aussi une manière de rendre au modèle sa personnalité. J’ai toujours été surpris par la disparition du modèle derrière le sujet, sauf dans l’art du portrait, car dans les autres cas le modèle disparaît.
La question que je pose est naï;ve en apparence, mais c’est volontairement qu’au Louvre, par exemple, devant la Diane peinte par Watteau, je demande « qui est-ce ? » Alors on me répond « arrête de poser des questions idiotes… on s’en fout… le problème n’est pas là ». Mais moi je veux savoir qui était là. Dans la plupart des cas, le modèle, qu’il soit féminin ou masculin, à été chosifié, il n’a pas d’existence en tant que personne : il est devenu Vénus naissant ou Diane au bain… Ma question est qualifiée de triviale, indigne de l’art. Un de mes modèles qui accepte d’être Diane reste la personne qu’elle est. Au théâtre on indique bien que Mademoiselle X ou Y jouera tel personnage alors…

Cela comporte aussi une grande part de jeu.
Paul-Armand Gette. Naturellement et pourquoi ne jouerait-on pas ? Lors d’une de mes lectures intitulée La dissimulation de Diane, j’ai demandé à un de mes modèles d’être la déesse et de faire ce qu’elle voulait. Elle a mélangé mes papiers, s’est couchée sur ma table. En quelque sorte elle a perturbé ma prestation et cela a très bien fonctionné. La liberté est pour moi un idéal de travail, c’est le plaisir que je trouve important dans une civilisation qui ne lui accorde pas une très grande place.

Pensez-vous qu’il y ait une phobie par rapport au plaisir ou par rapport à l’expression des émotions ? Roland Barthes disait que la nouvelle obscénité était le sentimentalisme…
Paul-Armand Gette. Je n’ai pas la même approche de l’obscène. L’est pour moi ce qui se passe en dehors de la scène des conventions et qui est accepté voire désiré par les protagonistes, c’est dire si toute connotation péjorative s’en trouve exclue. Dans cette aventure modéliste de la liberté, il y a exposition du plaisir, du désir et quelques fois aussi de l’inquiétude qui peut se manifester dans l’espace débarrassé des contraintes, la liberté est difficile à pratiquer, nous en avons perdu l’habitude!
Quand je lance un appel à modèle, je suis toujours surpris d’obtenir des réponses — certes dans le microcosme de l’art — et de découvrir des modèles désirants qui sont confrontés au dilemme suivant : qu’est-ce que je veux faire et qu’est-ce que je peux faire ?

Cette aventure modéliste c’est aussi la rencontre entre deux désirs; ainsi vous devez parfois vous confronter aux fantasmes du modèle. Vous a-t-on déjà demandé quelque chose que vous ne vouliez pas faire ? De poser à votre tour, par exemple?
Paul-Armand Gette. Oui et je déteste ça mais j’accepte bien évidemment. Poser le problème de la liberté est une bonne chose à condition qu’on ne se dissimule pas les difficultés qui vont surgir. J’avoue avoir refusé la première sollicitation d’un modèle masculin. Après réflexion, j’ai accepté et j’ai appris alors qu’il s’agissait d’une provocation de sa part, ensuite nous avons joué le jeu.

Il vous plaît de trouver des modèles sur place, dans le contexte d’une exposition.
Paul-Armand Gette. C’est vrai j’aime beaucoup procéder ainsi. Lors de ma dernière exposition (Musée d’Art contemporain de Rochechouart), le régisseur m’a fait part de l’envie qu’avait une de ses amies de poser pour moi. Cette jeune femme, étant connue de personnes présentes à notre entretien, les poussa à me dire que c’était impossible, car elle était enceinte. À leurs yeux, elle ne pouvait pas entrer dans le cadre de mon activité. Bel exemple de la manière dont s’établissent les stéréotypes ! Néanmoins, nous avons fait ensemble des images que j’ai intégrées dans l’exposition.

On s’empare de l’artiste, on applique un cadre, ainsi votre travail serait lié en grande partie aux corps des jeunes femmes…
Paul-Armand Gette. Pas à mes yeux mais à ceux de mes interlocuteurs. D’après eux, les modèles de Paul-Armand Gette doivent tous avoir entre 16 et 25 ans ce qui n’est pas toujours le cas.

Ceci me conduit à vous formuler la question du choix du modèle en rapport avec votre liberté d’artiste. Si le modèle s’impose à vous, le travail se situe ailleurs que dans le choix de celui-ci. Vos propres choix s’effectuent en fonction d’une contrainte, celle du modèle.
Paul-Armand Gette. C’est vrai mais je conserve la liberté de choisir le point de vue, ensuite je montre l’ensemble des prises de vues, puis j’utilise les images acceptées en les combinant entre elles. Je n’agis pas comme le ferait le photographe.

Se pose ensuite le problème du regard du modèle.
Paul-Armand Gette. C’est là que sa surprise peut se manifester devant les images. Il découvre alors un regard extérieur. Ce qu’il a montré ou cru montrer n’est pas obligatoirement ce que l’autre a regardé. À cela s’ajoutera un regard inconnu, celui du public.

L’absence de critères de choix qui fonde le principe de liberté et régit votre œuvre, met en avant le tissu complexe de relations unissant les différents regards. Dans le processus de création, se croisent des regards de différents niveaux : artiste, modèle, public. Emerge de tout cela l’idée que le questionnement, l’état d’incertitude, tient une place fondamentale au sein de votre œuvre.
Paul-Armand Gette. L’absence de critères pose quelquefois problème au modèle. Une caractéristique physique non acceptée par la personne, le poids par exemple, le conduira à une autocensure, ce que je déplore.

N’avez-vous jamais été confronté à la situation où quelqu’un voulait vous montrer ce que vous n’aviez pas envie de voir ?
Paul-Armand Gette. Bien sûr. Quand j’ai entendu une jeune femme me parler des menstrues de la déesse (un sujet que j’avais moi-même évoqué quelques années avant), je me suis demandé dans quel univers fantasmatique j’allais pénétrer. Est-ce que ce serait celui de l’intime, montré dans certains cas et pas dans d’autres ? D’où la question suivante : l’espace de l’art ne devient-il pas celui de la liberté mieux que tout autre ?

Ainsi réapparaît la question du territoire que vous explorez à travers les notions de frontières et de débordements présentes dans votre œuvre. L’espace artistique serait le seul territoire autorisé ?
Paul-Armand Gette. Peut-être. Je me souviens d’une étudiante préparant un mémoire sur mon travail et qui interrogeait certains de mes modèles sur les raisons de leur motivation. L’un d’eux lui a conseillé d’essayer pour les connaître, un autre m’a avoué répondre volontairement à côté des questions. C’est peut-être ça l’apparition de l’intime.

Ce qui touche à l’intime est souvent sujet, sinon à débordements, du moins à incompréhension. On parlait des réactions de certains membres de l’institution. Pourtant l’expression du plaisir revendiqué dans votre œuvre n’a rien d’outrancière. Serait-ce parce qu’il fait appel à la propre intimité du public qu’un travail comme Le toucher du modèle peut déranger ?
Paul-Armand Gette. Dès que nous tentons de connaître les sentiments du public face aux propositions que lui fait l’art, nous manquons totalement de points de repères. Je ne retiendrais pas ses réactions violentes qui ne sont que le reflet d’un désarroi, pas plus que certaines formes de critiques qui oscillent entre l’expression du goût, et pourquoi pas, et le discours savant mais ne nous renseignent en rien sur la manière dont les œuvres sont reçues. Je me risquerais à dire que, en ce qui me concerne, le public va confondre l’espace de l’art avec celui de la vie quotidienne. Pour reprendre votre exemple, Le toucher du modèle sera alors vu comme des privautés d’atelier, ce qu’il n’est en aucune façon.

Serait-ce parce que cette revendication est finalement éloignée de la provocation proclamée — et convenue — qu’elle en devient déroutante ?
Paul-Armand Gette. Ce qui est déroutant, c’est quand la proposition entre dans l’imaginaire du spectateur et qu’il invente la suite. C’était déjà très joliment dit par Marcel Duchamp, le regardeur fait alors le tableau.

N’y aurait-il pas aussi de votre part un plaisir malin de confronter le public à ses propres fantasmes, celui-ci faisant alors état d’hypocrite « public » ?
Paul-Armand Gette. Je crois le public beaucoup plus timide qu’hypocrite. L’élargissement des fantasmes serait un beau programme pour un artiste. J’aime beaucoup l’expression familière « faire son cinéma ». Si ce que je montre au public le conduit sur cette voie, alors je suis comblé.

Entretien réalisé en février 2003 par Diane Brousse pour paris-art.com.

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