Francis Baudevin
Patterns in sound
Pour cette exposition, Francis Baudevin s’est souvenu d’un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir, «The House that Jack built», intitulé «l’Héritage diabolique» en français. Le scénario, peu habituel pour la série met en scène Emma Peel, qui se rend dans une maison à la campagne qui vient de lui être léguée par un oncle inconnu. Elle s’aperçoit très vite que la demeure a des aspects inquiétants et qu’elle y est retenue prisonnière. Le piège lui a été tendu par un ingénieur en automatisation que Emma avait licencié lorsqu’elle avait repris l’entreprise de son père. L’ingénieur, décédé a conçu cette maison diabolique gérée par un ordinateur dans le but de faire perdre la raison à Madame Peel.
A première vue, difficile de trouver une unité stylistique entre un épisode d’une série policière datant de 1966, et les toiles graphiques de Francis Baudevin. Et pourtant, à bien des égards, cet étrange scénario aux allures psychédéliques et psychologiques rappelle le travail de cet artiste suisse qui a fait sien depuis plusieurs années la notion de simplification du motif, de la répétition graphique, le tout ponctué par une connaissance pointue de la musique agissant comme des stimuli sur son travail.
Dans «The house that Jack built», Emma Peel se retrouve prise au piège dans une maison dont elle ne peut s’échapper, l’ordinateur qui commande toutes les pièces et les accès diffuse une musique lancinante, répétitive, comme un battement de cœur. Elle tente d’évoluer dans un univers hallucinatoire et labyrinthique, où le sol et les murs sont recouverts de formes géométriques. L’attention du réalisateur apporté à la finesse des détails est indéniable, du lieu lui même (les scènes en extérieur ont été tournées dans un ancien hôpital psychiatrique) en passant par les décors et la répétition des motifs, l’atmosphère est lourde et enferme peu à peu le spectateur dans un univers complexe.
Cette importance du motif, de sa provenance et de sa répétition, se retrouve dans le travail de Francis Baudevin. S’éloignant du travail sur les logos de produits et leur signification littérale et quasi immédiate, ses nouvelles œuvres, certes toujours empruntées de l’univers graphique et peintes avec la plus grande méticulosité, sont désormais davantage orientées vers la culture populaire. Il leur donne une signification plus complexe, tout comme avec les photos de pochettes de disques, les ancrant dans un panorama d’échanges et de connexions, où les systèmes d’identification sont denses et multiples.
En effet, la société a vu naître différents groupes qu’ils soient affiliés à la musique, aux labels indépendants, aux séries télévisées ou tout simplement des néo-castes sociales auxquelles on s’associe; tous ces groupes ont des codes bien précis et une iconographie provenant d’un corpus d’images souvent préexistant. L’image utilisée par telle groupe ne signifiant pas la même chose pour un autre et offre ainsi une possibilité d’interprétation multiple.
Prenons l’exemple du titre de cette exposition, «Patterns in sound», il est tiré d’un vinyl compilant de la musique classique, dont la pochette pourrait être vraisemblablement attribuée à Josef Albers. Au dos de ce dernier on peut lire un texte écrit par la maison de disque Enoch Light qui résume cette idée de mélange des influences et des époques: «ce disque, n’est pas seulement une compilation de musiques anciennes, mais plutôt une maison dont chaque fenêtre ouvrirait sur un monde appartenant au passé. Ces «échantillons de sons» sont aussi les composants entrant dans la fabrication de l’histoire humaine».
Ces différentes mélodies ne voudront pas forcément dire la même chose selon la personne qui les écoute, ne raconteront pas la même histoire; un peu comme l’expliquait Josef Albers, dans son ouvrage de 1963, L’interaction des couleurs. En développant cette théorie quasi scientifique des couleurs, il démontre que ces dernières n’ont pas de valeur intrinsèque mais qu’elles dépendent de leur interaction. «Aucun œil normal, même le plus entraîné, n’est à l’abris des illusions de couleur, explique t-il. Celui qui prétend voir les couleurs indépendamment de leurs modifications illusoires n’abuse que lui-même, et personne d’autre » (Josef Albers, L’intéraction des couleurs, Hachette, Paris 1974, p. 45). Josef Albers établit une sorte de relativité des couleurs où le rouge ne serait pas que le symbole de la passion et le vert celui des écolos ou de l’espoir.
Un trait commun avec les œuvres de Francis Baudevin qui suivent ce postulat. Dans ses toiles, une bande ou un motif de couleur sera interprété différemment par l’œil du spectateur selon la couleur qui se trouve en arrière-plan, de même certaines formes n’apparaîtront qu’après que l’œil se soit habitué à la toile, seul un regard intensif permettra de voir apparaître un motif à première vue invisible.
Il est donc question de couleur, d’interprétation, de répétition de l’image et finalement, de position en fonction de qui l’on est et d’où on se trouve, se place dans la société. Avec ses toiles abstraites et colorées, Francis Baudevin, nous propose à son tour une vision possible. Comme ces groupes sociétaux, elle est à la fois collective et personnelle; elle recrée une atmosphère ou un moment spécifique comme peut le faire une chanson ou un morceau de musique. Le travail de Francis Baudevin revêt la même sensibilité et subtilité que la musique grâce au rythme, au mouvement et aux itérations graphiques et picturales qu’il donne à ses peintures. A la manière d’Emma Peel prise au piège et observée dans une maison — machine qui doit, pour s’en sortir, appuyer sur le bon bouton; le spectateur est amené à emprunter ce labyrinthe visuel et répétitif et d’en trouver sa propre interprétation grâce à ses références personnelles.
Vernissage
Jeudi 12 septembre 2013 Ã 18h