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Patrick Tosani

Vêtements moulés rigidifiés photographiés à l’horizontal et de face : les sujets de Patrick Tosani mêlent illusion d’une série de masques et interrogation sur le corps et l’objet.

— Éditeur(s) : Paris, Édition du Regard
— Année :2001
— Format : coffret 30 x 27 cm
— Illustration : nombreuses, en couleurs
— Langue(s) : français, anglais
— ISBN : 2-84105-129-3
— Prix : 36,59 €

Par Patrick Tosani

Recomposer un corps avec les vêtements qui le recouvrent, qui le protègent et qui lui donnent son apparence telle est l’entreprise de ce travail.

Il s’agit, dans un premier temps, de reformer et de restructurer ces vêtements, sur le modèle du corps, en les encollant et en les rigidifiant méticuleusement.

Ces objets-vêtements, proches d’une sculpture éphémère, se présentent comme des modèles de salon d’essayage.

Mon propos n’est pas de chercher l’apparence extérieure d’une chose, qui ne m’intéresse pas particulièrement dans sa fonction utilitaire, mais bien plutôt d’interroger ce qu’elle contient, ce qu’elle révèle avec ce vide fictif, à savoir le corps absent ou l’énigme du corps.

La procédure photographique, très systématique, qui consiste à tourner autour des objets que l’on regarde, à chercher l’angle de vue qui va donner son « point de vue » sur la chose, me conduit, presque naturellement, à ignorer l’extérieur de cette forme, pour ne m’intéresser qu’à l’intérieur.

La première série de vêtements que je décide de photographier sont des pantalons.

On pourrait décrire cette forme comme une sorte de tunnel qui après une jonction se séparerait en deux directions. Cette description est réversible.

En photographiant cette forme rigoureusement vers l’intérieur, frontalement et à l’horizontale, il se révèle alors, une figure de masque. Ce masque, qu’il faut bien nommer ainsi puisqu’il en a l’apparence, est aussi une sorte de tête, dont la ceinture serait le contour ; l’entrejambe, le nez ; et les deux jambes, les yeux.

Dans la profondeur de l’espace se crée le volume de la forme.

Ce masque contient une double présence du corps par la compression optique du volume et par cette figure humaine qu’il représente. À partir d’un objet aussi familier, aussi quotidien, trouver cet angle de vue afin d’en révéler une figure anthropomorphe, mystérieuse, marque bien pour moi une volonté de découvrir l’immensité de cet écart des choses. Ce léger décalage du regard fait basculer l’anonyme vers le mystère.

Cet objet, photographié ainsi, « fait image ». La force de la photographie est de pouvoir provoquer naturellement cet infime décalage, puisque sa matière originelle, puisée dans le réel, est transfigurée. C’est aussi la force de la poésie.

De quoi parle cet étrange masque ? Sûrement du corps, puisqu’il en est une sorte de moulage, du moins d’une partie. Mais si nous prenons les éléments formels de l’image, il s’agit d’une grande ouverture, d’une béance, qui se divise en deux parties, en deux directions.

Cette ouverture, posée sur un fond blanc, se rétrécit progressivement, s’assombrit, se sépare en deux éléments distincts pour rejoindre le fond de l’image. Ce qui était entier se divise.

Un indice formel, à savoir la mise au point photographique sur l’extrémité du pantalon, nous indique avec précision la fin de l’objet débouchant sur le fond.

Comme je le disais précédemment, cette lecture est réversible. Les deux yeux, les deux directions émergeant du fond blanc, se rejoignent et se focalisent en une seule partie devenue commune : c’est la construction du corps qui se révèle. Ce qui était divisé se rassemble.

Mais ces spéculations sur le sens de lecture sont surtout enrichies par le relief, par les accidents, par la lumière et par les ombres de ce volume. La matérialité et le détail du tissu nous donnent des indices sur la singularité et sur l’extrême variété de ces formes : ce qui enveloppe le corps est devenu lui-même corps.

L’image photographique, en transformant systématiquement le réel en objets, transforme ici ces objets en corps de façon à pouvoir dire que l’image elle-même « fait corps ». L’utilisation du corps dans la photographie ou de ses substîtuts, ici le vêtement, fait nécessairement apparaître simultanément une notion de présence et d’absence. Et c’est bien cette irrésolution qui conforte l’énigme de l’image.

Régulièrement, la photographie nous confronte à ce paradoxe.

Pour compléter cette interrogation, le travail se poursuit par une deuxième série.

Après avoir photographié la partie inférieure, mon regard se porte à présent sur la partie supérieure. Les objets utilisés sont alors des chemises.

Sur le principe du même cadrage, ils ne provoquent plus la même image. Il s’agit d’une surface de tissu plus importante, dont la profondeur est moins perceptible, et dont le point focal n’est plus deux yeux blancs mais une seule ouverture, le col.

Cette configuration formelle limite la déclinaison de la série. Le tissu et la présence du motif deviennent importants, car c’est ce dernier qui va construire l’espace, contrairement au pantalon qui avait une structure plus organisée. Le motif, ici, s’enveloppe et se déroule progressivement autour d’un centre, sorte de fenêtre circulaire laissant passer la lumière à l’intérieur de cet espace. Ce vêtement devient une architecture organique, un habitacle qui a contenu le corps, comme si celui-ci, absent, avait laissé la trace d’une nouvelle dimension, d’un nouvel espace.

Cette absence n’est pas mélancolique. La présence de l’image la neutralise, elle sollicite le regard de l’autre et provoque l’apparition d’un visage.

Cet ensemble d’œuvres, qui voudrait reconstituer le corps, suggère plutôt la singularité et l’immensité des regards.

Au mutisme de ces objets quotidiens, répondent la puissance poétique de l’image et la force d’un regard.

(Publié avec l’aimable autorisation des Éditions de Regard)

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