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Patrick Obeika

04 Nov - 30 Nov 2008
Vernissage le 04 Nov 2008

Les toiles de Patrick Obeika suscitent le sentiment d’une matière qui garde la mémoire de tout accident, de toute éraflure, de toute blessure jusqu’à sembler la peau scarifiée d’un corps, qui serait la substance même de la peinture.

Communiqué de presse
Patrick Obeika
Patrick Obeika

Patrick Obeika, Autoportrait « Comment d’un jeu, on fait une vie »

Corps
Pour Paul Valéry, le plus profond est la peau ; Patrick Obeika partage probablement cette perception.

Ses toiles suscitent le sentiment d’une matière qui garde la mémoire de tout accident, de toute éraflure, de toute blessure jusqu’à sembler la peau scarifiée d’un corps qui serait la substance même de la peinture.

Son travail plastique ne relève pas de la représentation mais de l’incarnation. Fouillant la chair de la toile, pénétrant les couches de la matière, il se livre à un corps à corps avec le matériau où la chair sert de substance à l’oeuvre et où l’oeuvre se fait chair.

Sa peinture est une pratique physique, épuisante, sensuelle où il inscrit, fouille, entaille, effectue des arrachements recouvre … où il caresse la terre. « Ce qui m’intéresse c’est l’épreuve du corps et par là son inscription irréfutable dans la vie » (Patrick Obeika).

Peinture écorchée, les toiles de Patick Obeika avouent une réalité d’humeur et de sucs, d’odeurs et de larmes. On ne peut rester indifférent à cette confrontation, à cette mise à nu, à ces autoportraits. Chacune de ces toiles est en effet revendiquée par l’artiste comme un autoportrait. « L’art a souvent pour moi cette force dérangeante, celle de nous faire voir pour la première fois l’autre ».

L’oeuvre en gestation ne se nourrit pas seulement de la chair de l’artiste mais aussi de la fermentation d’un composte de plâtre et pigment, d’une décomposition du monde, d’un pourrissement du temps.

Temps / mort / mémoire

La peinture de Patrick Obeika est marquée par le « temps ». En présence de ses toiles, j’ai parfois le sentiment de toucher du doigt une substance qui serait exhumée de la nuit des temps, un gisement de mémoires enfouies.

La réflexion sur la mémoire est d’ailleurs clairement revendiquée comme l’un des thèmes d’une série de l’artiste, les « Naturalisations ». Quand on lui demande ce qu’il veut signifier par l’intitulé, « Naturalisations », il répond simplement en évoquant le dictionnaire : « Préparer un animal mort ou une plante de manière à leur conserver l’aspect du vivant. Maintenir une apparence vivante à un organisme mort ». La plante, l’animal mort, renvoient dans ce cas à l’artiste lui-même.

«  »Elle » (la mort) agit sur moi très directement ; même s’il s’agit de ma propre disparition, elle est vécue à travers les autres. La part de moi que portent les êtres qui me sont chers et qu’ils vont emporter avec eux. Chacune de ces morts va amoindrir ma vie, dépecer mon patrimoine.

Des pans entiers de mon existence vont disparaître. Le désir de simulacre de la vie que sont ces « Naturalisations » vient de là, conserver ces morceaux épars de vie que sont les bouts de toile (s…). On n’existe que dans la mémoire de l’autre, des autres. Les naturalisations sont cela. La mémoire » (Patrick Obeika).

Dans cette série, le corps, toujours présent, est en fragment, dépecé ; souvent enveloppé de cire, il m’évoque un rapport à la fois au martyre et à la relique. Alors que notre société est généralement dans l’évitement par rapport à la mort, Patrick
Obeika nous convie à une réflexion sur ce défi de l’existence.

Je crois que pour lui, la mort n’a rien d’un accident qui survient du dehors, toujours mûrissante en l’homme, elle le pénètre d’un sens fondamental. La mort et le corps se rejoignent dans un symbole universel : la croix.

Croix
Stat crux dum volvitur orbis (La terre tourne, mais la croix demeure) peut-on lire dans les monastères chartreux.
La croix, parfois évidente, parfois dissimulée est toujours présente dans le travail de Patrick Obeika qui ne craint pas un certain mysticisme et de nous convier à une réflexion sur Dieu.

Avons-nous tué Dieu ? Que pourrait alors faire un genre humain dégagé de toute transcendance quand l’accomplissement collectif, inspiré du marxisme a échoué ?

S’accomplir égoïstement selon un individualisme exclusif et souverain ? Triste perspective. Il semble qu’il ne resterait alors que la voie tracée par Nietzsche : le déplacement vers le Surhumain par une transmutation des valeurs.

Cette voie assigne à l’homme émancipé une finalité souveraine, un au-delà de l’humain dans l’humain, un dépassement de sa propre condition. Mais c’est une transcendance venue de ses propres forces qui nécessiterait un sursaut.

La croix inlassablement répétée de Patrick Obeika apparaît comme le symbole non seulement d’une interrogation sur la transcendance mais également comme le symbole de ce nécessaire sursaut. Cette croix est un désir de surgissement, une volonté de rupture existentielle.

L’horizontale figurant le continuum dans le temps de nos actions réactives, non choisies ; la verticale étant la
rupture existentielle qui s’y produit où il faut comprendre exister dans son acception étymologique ek-sistere, émerger du magma des choses.

Signe essentiel entre tous, cette croix nous place finalement devant la double exigence qui tenaille toute vie : tenir fermement le point nodal et en même temps tendre de tous côtés vers justement l’in-fini.

Etre
Amateur de philosophie, Patrick Obeika a toujours ressenti l’écart infranchissable qui existe entre les certitudes des systèmes philosophiques et la réalité de l’homme.

La peinture est pour lui la meilleure manière de s’attaquer à l’existence humaine en vue de tirer au clair, sur le vif, l’énigme que l’homme est à lui-même. Un système philosophique signifie que plus rien n’est incertain ; forcer les fondements de la certitude que l’homme peut avoir de lui-même nécessite au contraire une démarche physique, dans un état de semi-conscience.

Le travail de Patrick Obeika est cette fouille des sédiments de la condition humaine à la recherche de ce qu’Etre signifie.

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