ART | INTERVIEW

Patrice Joly

Jusqu’au 20 octobre, l’Est parisien se transforme en terrain d’expérimentation artistique à l’occasion de la Biennale de Belleville. Son directeur, Patrice Joly, critique d’art et commissaire d’exposition, revient pour nous sur la genèse, les enjeux et les temps forts de cette seconde édition.

Une biennale d’art contemporain à Belleville, c’est ce qui manquait à Paris?
Patrice Joly. On pourrait se dire qu’il y a suffisamment d’évènements artistiques dans la capitale mais en même temps, si l’on regarde Belleville, c’est un territoire extrêmement peuplé — entre 400 000 et 500 000 habitants — et quasiment dépourvu d’équipements liés à l’art contemporain. Certes, il y a bien Le Plateau mais cette structure reste assez modeste dans sa taille bien qu’elle déploie une énergie et une programmation des plus intéressante: son ouverture en 2002 a radicalement changé le paysage artistique du quartier. Dans son sillage, une dizaine de galeries se sont installées, dont la plupart sont présentes à la FIAC.
Belleville a aussi une histoire forte liée à l’art contemporain avec la création du collectif d’artistes La Générale en 2006. Forts de ces constats, nous qui habitons tous le quartier et sommes journalistes et critiques d’art, nous nous sommes dit qu’il manquait quelque chose et qu’il fallait créer un évènement.

Comment se positionne cette biennale?
Patrice Joly. Contrairement à la Biennale de Lyon qui rayonne autour de La Sucrière et du Musée d’art contemporain, ici, il n’y a pas de lieu central, seulement des lieux satellites. Nous sommes présents aussi bien dans l’espace public que dans les ateliers d’artistes. Par choix mais aussi en raison de l’absence d’un lieu emblématique. D’une certaine manière, nous sommes plus proches de la Biennale de Berlin, qui investit les quartiers, même si nous ne remettons pas en cause l’absence de politisation de l’art aussi fort que le fait la Biennale de Berlin.

Vous présentez une exposition au Carré Beaudoin autour des révolutions. Pourquoi ce thème?

Patrice Joly. La révolution a toujours été un moteur d’inspiration très puissant chez les artistes. Il ne faut pas oublier non plus que Belleville fut l’un des lieux de la Commune de Paris et plus récemment une terre d’asile pour les migrants tunisiens pendant la révolution de Jasmin. L’idée était de brasser l’historique de ce quartier populaire avec l’actualité. Avec Aude Launay, nous sommes partis des différentes significations du mot «révolution», qui renvoient à la fois au sens littéral de giration autour d’un axe et à une dimension politique. Nous retrouvons ces deux aspects dans l’œuvre de Sam Durant, L’ennui est contre-révolutionnaire (2005). L’artiste a réalisé un mobile avec des couvercles de poubelles dont les étudiants se servaient en mai 68 comme boucliers. C’est à la fois une œuvre politique et une sculpture en forme de mobile. Quant à la pièce d’Alexandre Périgot, Jardin révolutionnaire avec moins de couleurs et plus de fleurs (2010), elle fait directement référence à l’usage qui a été fait des noms de fleurs et couleurs dans les dernières révolutions.

Comment parler d’art dans un quartier aussi populaire que Belleville?

Patrice Joly. D’abord, en investissant la rue comme nous le faisons avec des interventions dans l’espace urbain. Sur le boulevard de La Villette, l’œuvre de Nicolas Milhé, Sans titre (2005), un élément de mur en béton de six mètres de haut est un vrai choc visuel, qui ne peut qu’interpeller les habitants et agir sur l’imaginaire (même si au final elle a atterri place du colonel Fabien où elle dialogue avec l’architecture de Niemeyer). Tout comme le projet de Vincent Lamouroux, Aire 23, qui consiste à blanchir un bosquet du parc des Buttes-Chaumont. Ensuite, en travaillant avec différents lieux en prise directe avec la vie du quartier et de ses habitants.
Pour la première fois cette année, nous collaborons avec le CENTQUATRE, où nous avons créé une artothèque. C’est l’un des projets phares de la Biennale. Les gens peuvent emprunter des œuvres et/ou en acheter: ce sont des œuvres d’une valeur inférieure à mille euros. Nous partons aussi du principe qu’il n’y a pas de public à deux vitesses. Cette manifestation est ouverte à tous. Pour cela, nous avons fait un gros effort pour développer la médiation. Pendant toute la durée de la Biennale, deux médiateurs sont postés en permanence au Carré de Beaudoin, qui n’est pas par définition une structure dédiée à la création. Ils accueillent les visiteurs et répondent aux questions sur la Biennale. En revanche, la question de la médiation auprès des pièces installées dans l’espace public a été plus difficile à trancher car elle soulève notamment le problème de la visibilité de l’œuvre et de la possibilité de son brouillage par la proximité des médiateurs.

Cette appropriation de l’espace public a-t-elle été facile?

Patrice Joly. Paris est une ville surprotégée. Obtenir une autorisation relève du parcours du combattant. Pour la pièce de Nicolas Milhé, nous avons obtenu l’accord de la ville au dernier moment. Au départ, nous devions l’installer sur le terre-plein du boulevard de Belleville mais nous n’avons pas eu l’autorisation car il fallait bloquer la circulation. Nous nous sommes donc déplacés vers Colonel Fabien. Quant au projet de Morgane Tschiember d’installer un néon au sommet des châteaux d’eau de Belleville, il a finalement du être abandonné au nom de la sécurité publique.

Quels sont les autres temps forts de cette seconde édition?
Patrice Joly. Cette nouvelle édition est riche en nouveautés. Dix nouveaux ateliers nous ont rejoint, des nouvelles associations comme le collectif Treize, Shanaynay, mais aussi de nouvelles galeries.
Il y a ensuite Le Grand Tour, le projet de Claire Moulène, qui met en lumière les nombreux espaces de travail et lieux de production que compte le Grand Belleville. Le principe est d’orchestrer une promenade dans le quartier, avec des points de chute dans une dizaine d’ateliers d’artistes transformés pour l’occasion en lieux d’expositions éphémères. Dans chaque atelier, l’artiste a invité un autre plasticien ou un commissaire pour organiser une exposition ou une performance. Mais aussi Streetpainting le projet d’Aude Launay de déplacer la pratique du peintre de son atelier à la rue en invitant une dizaine d’artistes à intervenir dans les rues Ramponeau et Julien Lacroix. Enfin, la «Nuit des tableaux vivants», organisée par Jean-Max Colard, mêle d’autres disciplines comme le théâtre, la danse, le cinéma, la vidéo.

Comment voyez-vous la suite de cette aventure?
Patrice Joly. La question du budget est au centre de nos préoccupations et de notre survie. Actuellement, la Biennale est financée à 80% par des subventions publiques et 20% grâce à des sponsors privés comme la Fondation Ricard, les galeries Lafayette, Coton Doux. Mais cela reste insuffisant. Certaines pièces comme celles de Gabriel Orozco n’ont pas pu être montrées, à cause du coût de leur assurance notamment.
Nous envisageons par la suite de mener un travail de terrain avec les associations de quartier pour nous faire connaître et expliquer notre action. Mais la priorité était d’abord de réussir à monter les expositions et à les produire. A terme, nous espérons aussi avoir une vraie structure.

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