L’homme est exclu de tous ces cadres peints par l’artiste. Ou bien il les observe de loin, ou bien il les a déjà quittés. Les magasins, halls d’immeubles ou d’hôtels, passerelles sont théoriquement des lieux de transit mais on n’y sent aucune circulation. Les espaces paraissent désaffectés depuis longtemps, définitivement abandonnés, laissés en friche pour toujours.
Bien que le «pittoresque» puisse se loger partout, on n’a pas l’impression que Philippe Cognée ait éprouvé la moindre empathie pour ces espaces visités. On n’est certainement pas dans la célébration d’un âge d’or où cohabitaient les décors du passé le plus lointain et les signes d’une certaine modernité.
Philippe Cognée ne représente d’ailleurs pas vraiment des lieux, mais plutôt des lignes de fuite et des lignes de force. Il indique des directions à prendre, le cas échéant, et pose les axes stables et les coordonnées cartésiennes qui fixent ou rendent immuables les choses.
Que serait cet art sans la manière? Le traitement est singulier. L’option de la technique à la cire explique — mais ce n’est pas la seule raison — le rendu particulier des toiles. Ce parti pris impressionniste, ou plutôt post-impressionniste, aide à comprendre la démarche de l’artiste qui interroge la perception et ne cherche pas a priori à documenter son époque.
On imagine mal que Philippe Cognée ait posé son chevalet pendant les heures de fermeture ou de désertion des lieux pour peindre sur le motif. Il a utilisé des photos «basse déf», tic stylistique d’aujourd’hui, qui l’aide à ne pas se perdre dans les détails. C’est la peinture et non le geste ou la pose du peintre qui intéresse Philippe Cognée — pas le punctum.
Une couche pâteuse, plâtreuse, cendreuse, déposée au couteau ou au pinceau, voile, brouille, embue la vision. La gamme chromatique est réduite au minimum: à du blanc, à du noir et à une ou deux teintes plus particulières, pas plus.
Le Palais, la Terrasse, la Passerelle et le Grand Hall virent au bleu; le Couloir d’hôtel à Tokyo au jaune; la vue De la chambre d’hôtel à Pékin au rose; le Rayon froid, Vrac, Cinquième allée et la Dernière allée au rouge, Dix heures du matin à l’ocre brun.
La confusion des formes est à prendre au sens littéral du terme puisque le Philippe Cognée utilise la toile en son entier comme s’il s’agissait d’une palette: les effets de transparence et les surimpressions sont obtenus par chauffage au fer à repasser de la cire. L’art de Philippe Cognée est, si l’on veut, à la fois raffiné et… paraffiné.