Sans doute l’œuvre qui a fait connaître Richard Fauguet d’un vaste public, est sa table de ping-pong (Sans titre, 2000-2004). Basée sur les travaux de l’Anglais Eadweard Muybridge et la chronophotographie d’Etienne-Jules Marey des années 1885-1890, l’installation fixe les rebonds des balles de ping-pong sur la table et décompose le phénomène en un agencement spatial et temporel fragmenté. L’artiste matérialise le mouvement des balles qui s’immobilisent en l’air, et fige dans le temps les instantanés qui tracent leurs trajectoires. Son dispositif visuel est devenu emblématique à la fois de l’histoire de la photographie et de l’art du plasticien.
Avec Pablito (2002), Richard Fauguet emprunte une série de quatre-vingt-quatre planches de manga, comme support, qu’il détourne et retravaille à la manière des photographies de mariage de l’exposition précédente.
Il dessine ici une galerie de monstres et de fantômes improbables dont il torture les formes en un graphisme plat, appliqué au correcteur blanc. Son inspiration pour ses formes (in)humaines trouve sa source dans les corps distordus et dans le style biomorphique des personnages de Pablo Picasso.
Fauguet ne cache pas son emprunt puisque la première planche est la reproduction de l’Acrobate de 1930 de l’artiste espagnol, et que Pablito est une référence au petit Pablo (Fauguet s’est-il dénommé ainsi avec humour ?) Tout comme Picasso qui fonctionnait par séries, il produit une foisonnante diversité de formes fantastiques dont il délimite les contours au stylobille.
Il remet en jeu son imaginaire sur chacune des quatre-vingt-quatre planches qu’il tourmente pour en ré-écrire l’histoire. L’usage du correcteur n’est pas neutre. L’artiste veut signaler qu’il corrige les planches imprimées, au sens où il les améliore en rectifiant, remaniant et révisant les épreuves. Partant de bandes dessinées dupliquées en millions d’exemplaires, il en fait des œuvres uniques, authentiques, et donc artistiques, par ses retraitements et sa signature, comme l’avait fait Marcel Duchamp avec ses urinoirs. La
bande dessinée manga, « forme reproductible de la culture de masse mondialisée » par excellence, est corrigée par Fauguet qui tourne, à sa manière, l’invasion des comic strips en une dérision critique, et leur confère une dimension artistique récupérée.
Enfin, nouveau tournant dans la production polymorphe de Richard Fauguet (il aurait été influencé par Daniel Schlier avec qui il a travaillé pour ses œuvres de peintures sur verre) : le buste d’une personne (Sans titre, 2003) réalisé en pâte à modeler multicolore sur toile blanche, une pâte qui, une fois chauffée, voit ses couleurs se mélanger et adhérer à la surface du canevas. Une angoisse jaillit de l’empâtement moiré et du mélange des couleurs, qui n’est pas sans rappeler le visage déformé et distordu du Cri d’Edvard Munch ou les personnages tourmentés, agressés et écorchés de Francis Bacon. Il crée là un portrait intense, tragique qui exprime une violence à la fois physique et intérieure qui surprend chez un artiste ne donnant pas l’impression de se prendre au sérieux au vu du traitement humoristique des documents détournés… à moins qu’il n’ait laissé tomber le masque, pour une fois. Il est certain, en tout cas, que le pouvoir plastique de ce médium confère une force sur la toile qui vaut la peine d’être explorée.
En plus d’une petite paire de bottes en caoutchouc détournées par une découpe qui les transforme en de facétieux animaux (Sans titre, 1999), l’artiste présente également deux photographies agrandies, en noir et blanc, provenant d’un journal et montrant des courses de chevaux, sur lesquelles il a rajouté les noms incongrus, mais réels, des chevaux, rendant ainsi les documents photographiques humoristiques.
Mikhaïl Bakhtine avait été le premier, dans le domaine littéraire, à émettre l’idée d’une  » intertextualité « , au sens où tout texte se construirait comme mosaïque de citations, serait absorption et transformation d’autres textes. Sa théorie peut parfaitement s’appliquer à l’art de tout plasticien. Richard Fauguet participe pleinement à cette « intercréativité » qui règne en maître dans notre monde de l’image, où tout est jeu de re-connaissance, de ressemblance et de citation. Le vocabulaire plastique de l’artiste fait toujours référence à autre chose que lui-même ; sa grammaire des signes renvoie toujours à d’autres signes dont la signification sera proportionnelle à la culture du spectateur. Ce seront les rapports établis qui donneront sens à ses œuvres.
S’il utilise le matériel disponible, manipule les formes existantes et ré-agence les éléments exploitables grâce à l’alchimie de son imagination, ses propositions artistiques surgiront toujours dans un monde déjà encombré d’œuvres où elles chercheront à se faire une place. Elles vont donc se situer au croisement de plusieurs autres dont elles seront à la fois l’évocation, le rapprochement, le détournement ou l’approfondissement. En fait, toute création nouvelle n’est peut-être que dialogue ou confrontation de créations entrecroisées déjà existantes.
Richard Fauguet :
— Sans titre, 1999. Bottes en caoutchouc découpées. 20 x 25 x 12 cm environ.
— Sans titre, 2004. Collage vénilia sur papier. 31 x 24 cm non encadré.
— Sans titre, 2001. Sérigraphie sur papier cartonné. édition de 3 planches à 50 exemplaires signés numérotés. 64 x 91 cm non encadré.
— Sans titre, 2003. Pâte à modeler et métal sur toile. 55 x 46 cm.
— Sans titre (table de ping-pong), 2000/04. Table de ping-pong, tige en inox, balles de ping-pong. dimensions variables.
— Pablito, 2002. Extrait d’un ensemble de 84 planches de manga dessinées au correcteur fluide et stylo bille. 18 x 12 cm chaque.