Yona Friedman
Part 1 : Autour de la ville spatiale 1957-1975
« Je réalise le dessin comme une idée, ensuite vient la maquette d’étude comme un essai de visualisation dans l’espace, puis la photographie et la diapositive. »
En 2007, la galerie Kamel Mennour produisait le Film Spatial de Camille Henrot : une déambulation apparemment aléatoire dans l’appartement parisien de Friedman, véritable « merzbau » urbain, commencé en 1968 et toujours en devenir.
De cette rencontre, est né le projet d’une invitation en deux séquences pour rendre hommage à une figure absolument contemporaine, ni architecte, ni artiste, ni théoricien.
Après une enfance en Hongrie, Friedman s’expatrie en Israël en 1946, où il fait l’expérience de la vie communautaire dans un kibboutz. Tandis qu’il travaille dans une entreprise de construction et achève ses études d’architecture commencées en Europe, il saisit les atouts de l’habitat précaire et mobile (Cylindral Shelters), qu’il tentera de mettre au point, une décennie plus tard, avec la complicité de Jean Prouvé. Tous deux sont passionnés par l’habitat pré-fabriqué et une esthétique de la simplicité, dénuée de style.
Définitivement installé à Paris en 1957, il rédige et diffuse le Manifeste pour l’Architecture mobile, qui sera immédiatement relayé grâce au soutien d’architectes internationaux comme Frei Otto et les métabolistes japonais (Kenzo Tange, Kiyonori Kikutake), en phase avec ses principes architecturaux : mobilité, flexibilité, improvisation, renoncement à la construction. Très vite, Friedman est connecté avec le monde entier et fonde le Groupe d’étude d’architecture mobile, à la recherche d’une architecture croissante, indéterminée et libre.
De là , découle le principe de la Ville Spatiale, qui consiste à proposer des systèmes de constructions en nappes successives, qu’il déclinera, sous forme de photomontages, à partir de vues panoramiques (souvent des cartes postales de l’après-guerre) de Paris, Tunis, Monaco …
En France, c’est surtout le milieu artistique, qui s’intéresse à la dimension utopique et expérimentale de ses travaux : d’abord en la personne de Pierre Restany, qui l’invite en 1963 à exposer à la galerie J, fief des Nouveaux Réalistes, à quelques pas d’ici, puis le classe parmi les « idéaires » dans le célèbre « manifeste » rouge publié à Milan en 1968.
Jean Dubuffet est également attentif à ses travaux, tandis que Gottfried Honneger, principal défenseur de l’Art concret en France lui apporte tout son soutien. Dès 1975, l’Arc/Musée d’art moderne de la Ville de Paris retrace son parcours depuis une vingtaine d’années, sous le titre les Utopies réalisables.
Depuis les années 2000, c’est la nouvelle génération artistique, qui se tourne encore vers lui : des figures internationales comme Olafur Eliasson et Pierre Huyghe le sollicitent pour des collaborations. En 2001, la Documenta XI à Kassel lui rend hommage, tandis que la prochaine Biennale de Venise, en juin 2009, présentera ses projets les plus récents.
Dès le départ, Friedman a cherché à élargir les champs d’application de l’architecture, considérant, à juste titre, cette pratique comme une discipline non spécialisée, à la croisée de la philosophie, de l’écologie, de la spiritualité, des mathématiques, et des sciences, en relation avec tous les domaines de la société. Dès lors, il a considéré que son rôle, en tant qu’architecte, serait davantage celui d’observer les individus, leurs émotions et leurs actions, que de construire et d’imposer un modèle. « Je pense comme un sociologue», dit-il.
Être en priorité un incitateur plutôt qu’un bâtisseur. Fondamentalement convaincu que l’univers, et, par conséquent, la nature humaine, sont imprévisibles et incontrôlables, il démontre, dans ses écrits et ses maquettes d’études, que la forme idéale en architecture est l’absence même de planification, d’angle droit, de standardisation, de logique…
À cette nature intrinsèquement capricieuse doivent répondre des formes libres, erratiques, embrouillées et recyclées. La notion d’auteur devient alors obsolète et illusoire, préférant impulser une architecture organique, croissante, et improvisée, à l’image du futur usager, à qui il accorde finalement le statut d’auteur et de créateur, comme l’ont fait, à d’autres périodes et dans d’autres domaines, Duchamp et Beuys.
Dans cet immense laboratoire de maquettes et d’assemblages qui compose son univers domestique, on trouve, pêle-mêle, plusieurs typologies de maquettes : les « merzstructures » confectionnées à partir d’emballages pharmaceutiques, « les gribouillis » et « les macaronis », réalisés avec des câbles électriques, les « trains » avec des bouchons de liège tenus par des aiguilles, les « spaces-chains », qui sont des assemblages de bracelets indiens suspendus au plafond ou en équilibre sur une étagère, les « froissés » en suspension comme des nuages, puis les « laméllaires », des rouleaux de caisse enregistreuse agraphés les uns aux autres, et ainsi de suite.
C’est un échantillon de ce laboratoire de formes et de gestes que la galerie présente ici avec la complicité de Friedman. Autour de ces centaines de maquettes, se trouvent des assemblages de polystyrène blancs ou recouverts de pictogrammes, et surtout des « frises » figuratives et polychromes, un peu comme les derniers papiers découpés de Matisse.
Ces dessins muraux représentent des personnages mystérieux et enchanteurs, qui fascineraient n’importe quel enfant, pour Friedman, l’« utopien », par excellence. En réalité, ces personnages, qui ont des corps et des expressions humaines, sont des familles de licornes, qui expriment les quinze utopies fondamentales : le respect de la nature, la fraternité, l’égalité, la liberté, la parole libre, les droits de l’enfant, l’éducation, la santé pour tous, la liberté sexuelle, la laïcité, l’art libre, le revenu garanti, la justice, le droit au logement, et l’autogestion. Les messages de ces licornes entourent Friedman et lui permettent, tous les jours, de vivre et de partager avec les personnes qui lui rendent visite ses utopies paisibles et « réalisables ».
Dans les années 1970, l’Unesco commande à Friedman des manuels éducatifs, des outils pour diffuser les « utopies réalisables », qui ont été réédités en plusieurs tomes par le Centre national de l’estampe et des arts imprimés (Chatou) en 2007 et 2008. Ces manuels sont aussi téléchargeables sur le site www.cneai.com pour être diffusés le plus largement possible.
La plupart des écrits (textes et dessins combinés) de Friedman sont publiés par les éditions l’Eclat :
— Yona Friedman, L’Architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, 2003
— Yona Friedman & Balkis Berger-Dobermann, Vous avez un chien, c’est lui qui vous a choisi(e), 2004
— Yona Friedman, L’ordre compliqué et autres fragments, 2008
Vernissage
Mardi 6 janvier 2009. 19h-21h30.