Ancienne élève de Bernd Becher et très influencée par la pratique objectiviste, neutre et méthodique de son professeur, Candida Höfer renouvelle ce parti pris esthétique et conceptuel. Elle décline ici sa vision de l’espace architectural public dans un travail de sélection et de typologie. Elle nous invite à visiter avec un sentiment privilégié : entrer au cœur de l’œuvre et être les seuls à accéder à ces endroits exceptionnellement vidés de toute présence humaine.
Depuis 1979, Candida Höfer se consacre au thème des espaces intérieurs publics qu’elle a complété depuis 1990 par ses «Jardins zoologiques». Ces lieux d’utilisation collective sont autant d’endroits de conservation et de transition où l’homme est exposé au regard des autres tout comme les animaux peuvent l’être dans un zoo.
On entre dans la galerie et ce qui frappe au premier abord, malgré la présence des visiteurs de l’exposition, c’est le calme et la sérénité qui se dégagent des photographies accrochées aux murs. Les endroits pétrifiés par l’objectif de Candida Höfer imposent le silence.
Sur la gauche, le Salon Lyautey nous ouvre ses portes. Hommage au maréchal du même nom, cette salle est logée au cœur du Palais de la Porte Dorée et appartient à un ensemble art déco.
Vestige d’une des expositions universelles des années trente le Musée des colonies et de la France extérieure a pour vocation de diffuser une culture représentative de la colonisation. La pièce immortalisée ici arbore des fresques riches de détails aux accents orientalistes. Deux immenses portes en bois se dressent de part et d’autre d’un bureau et d’une chaise vides. L’homme qui semble régner sur ce royaume est invisible. La rigueur de l’ensemble contraste avec les volutes et la touche des peintures qui sont aux murs.
La composition de cette photographie, pas tout à fait symétrique, traduit le sentiment de supériorité d’une espèce civilisée sur des peuples longtemps exploités et considérés comme inférieurs.
On peut lire plusieurs niveaux de temporalité dans les images de Candida Höfer : l’histoire de l’architecture qui résume parfois à elle seule l’esprit d’un autre temps, l’utilisation actuelle du lieu et l’instant de la prise de vue. C’est de cette ambiguïté entre les différents moments convoqués par l’artiste que naît la tension qui se dégage de ces œuvres.
Plus loin, des bibliothèques s’étendent à perte de vue, dans des perspectives décuplées par le grand angle utilisé lors de la prise de vue. Elles suggèrent la mise au travail, le respect et l’admiration. Le savoir qui repose là , en attente, est préservé, l’espace d’un instant, de toute fonction utilitaire. Les tranches des livres qui se succèdent ne sont plus que des bandes de couleur qui guident le regard du spectateur vers le fond de la pièce.
En face, les couloirs du Château de Versailles dévoilent leur faste. Candida Höfer déclare que «dans les espaces [elle] cherche ce qui se ressemble, en quoi [elle est] attirée par la différence entre ce qui se ressemble».
Quels sont les points communs entre ces photographies? Tout d’abord, la lumière naturelle qui entre par de larges ouvertures visibles ou non est un de ses leitmotive. L’artiste est très attentive aux sources d’éclairage et ne peut réaliser ses compositions qu’avec une inclinaison particulière du soleil.
Seule la vision d’ensemble de ces espaces atmosphériques l’intéresse, mais elle se surprend parfois à être attirée par les détails qui regorgent de ses clichés.
Les symboles attachés à chaque lieu sont aussi pour elle des pistes de recherches. Ici celui de la domination, là celui de la connaissance, ou encore du rayonnement du pouvoir.Â
Enfin, la conception de l’histoire qu’elle décline dans des compositions ouvertes et qui s’instaure comme métaphore bien plus que comme principe stylistique.
Candida Höfer cherche à nous délivrer un message sourd, sans agressivité. Les architectures photographiées et leurs apparats dialoguent encore. La taille des œuvres exposées nous plongent au centre du dispositif mis en place. Nous sommes les acteurs privilégiés de mises en scène artificielles chargées de sens. Nous devons donc, en tant que tels, nous positionner non comme de simples contemplatifs de décors artistiques, mais comme les interprètes d’époques revisitées.
Candida Höfer
— Hall de la salle Pleyel Paris I, 2007. C-Print. 205 x 290,5 cm
— Palais de la porte Dorée Paris I, 2007. C-Print. 205 x 290,5 cm
— Musée Jacquemart André Paris I, 2007. C-Print. 262 x 205 cm
— Salle de conférence du Sénat Paris II, 2007. C-Print. 205 x 276,5 cm
— Bibliothèque Mazarine Paris I, 2007. C-Print. 205 x 255,2 cm
— Château de Versailles II, 2007. C-Print. 200 x 262,5 cm
— Château de Versailles III, 2007. C-Print. 200 x 283,5 cm