Communiqué de presse
Chloé Julien
Ça s’écrase. Ça reste. Ça accouche de quelque chose de difforme, de quelque chose d’amer, de double et d’excitant. Les sens s’immiscent plus aisément dans ce qui les dérange, les contrarie et les repousse. La beauté, Chloé l’a prise sur ses genoux – c’est elle qui cite le vers de Rimbaud –, elle la laisse convulser et l’insulte. L’accouchement est à ce prix, mais, cette fois, ça se passe à l’intérieur. L’accouchée n’expulse pas, elle digère, elle accepte, elle se retourne mille fois sur elle-même sans savoir quand sera la dernière – si seulement une dernière fois peut venir.
Rien d’autre que la peau. La peau englobe le cœur et les viscères, les fait se séparer d’elle, les rétrécit. Ils sont déjà presque aussi diaphanes qu’elle. Cela se resserre peut être trop maintenant ; il faut encore un effort, faire tout passer dans le mortier et ne rien laisser derrière, que ça ressorte enfin, qu’on puisse le voir sans détourner les yeux, ces yeux que Chloé ne sait pas fermer. Ils sont là pour voir, sont faits pour enregistrer tout et toujours. Elle dit qu’elle lit avec une presque impuissance, sans pouvoir s’arrêter. Tout se répond sans cesse, ça résonne dedans et dehors. Ce qui tonne n’est pas ce qui dérange le plus. On aimerait bien, car ce serait facile.
Beaucoup ont couru, avant elle, dans cette chambre. Chloé parle volontiers de Jean Rustin – un modèle oublié, peut-être, mais pas d’elle. Chloé n’oublie pas ; elle voit ses doubles là où ils sont, sait reconnaître et choisir les êtres, ceux qui habitent son corps et ceux qui aident à le supporter, à le voir à l’intérieur. Ce corps-là ne serait rien sans eux ; mais, en fin de compte, le dessin et la peinture n’ont que faire de la présence, de la lourdeur, des trous et des pores, de tout ce par quoi le corps se sent et se creuse face à l’autre. Ce qu’ils recrachent, ce sont les restes, ce qui, peut-être, compte seul vraiment. L’intérieur – le vrai, la « boule androgyne » comme la nomme l’artiste – continue vaille que vaille. Rien ne saura plus l’arrêter.
Le dessin n’a pas qu’un sexe, il en a trop – et des sexes qui n’ont pas encore de nom. Surtout quand Chloé parle d’autoportrait. Peu ont perçu dans les derniers portraits que Bonnard a peints de lui-même ce qui détache peu à peu la chair, lambeau après lambeau : la face qui la disloque et la fait virer au bleu pour ne plus être, pour qu’enfin semble possible la réconciliation – ce dédoublement final. Cette peinture-là procède d’un très long monologue. Celui de Chloé commence à peine ; mais ce qui est là , dedans, dans ces corps binômes, ces filles mi-hommes, ces profils de garçons aux sexes dressés, griffonnés aussi vite que possible – ou alors dans les dormeurs, qu’elle prend quand le temps se relâche et que l’immobilité du corps le rend à nouveau pénétrable – c’est une figure de l’impossible, de l’informe et du vaguement sale, de la limite à ne pas franchir parce que ça ne se dit pas, parce que ce n’est pas montrable. Pourtant, l’impossible, c’est ce qui doit se dire. Chloé Julien le fait.
François Michaud (conservateur du Musée d’Art Moderne, Paris), 18 mai 2007.
Artiste
Chloé Julien
Chloé Julien, peintre diplômée de l’École Nationale des Beaux Arts de Paris, est née en France en 1976. Elle vit et travaille à Paris. La Galerie Plume présente pour sa première exposition personnelle une série de travaux à l’aquarelle sur papier, réalisés entre 2004 et 2007.Auparavant elle a participé à de nombreuses expositions collectives ou salons dont : 2007 : Galerie Sara Guedj, 2006 : Galerie Plume, 2004: Salon Européen de la Jeune Peinture (49e Salon de Montrouge), 2002: Exposition collective « Première Vue », organisée par Michel Nuridsany (Passage de Retz, Paris), Prix de peinture Antoine Marin (Arcueil), exposition itinérante à (Oslow, Norvège).