La galerie Nü Köza a invité Paule Lanternier à présenter un travail réalisé autour d’une réflexion sur la photographie argentique, ses codes et ses mutations, à l’aune d’un devenir de plus en plus incertain du médium.
Depuis cinq ans, l’artiste intervient sur des négatifs amassés au fil des années, couvrant une période de 1900 à 2010. La collection n’a pas d’importance en elle-même, le vrai travail commence par la sélection, un long exercice du regard pour intégrer ces images et finir par trouver le détail qui va retenir son attention. Commence alors les découpages, recadrages et agrandissements, afin d’exacerber certaines parties des images, un regard, un geste, une pose, et ainsi offrir aux négatifs une nouvelle vie et au regardeur un nouvel axe de vision.
On retrouve dans cette manière de procéder le Roland Barthes de La Chambre claire et son célèbre punctum, ce détail que le spectateur va mettre en exergue pour lui-même, et qui devient la raison pour laquelle une photographie lui plaît ou l’interpelle.
Ainsi, en réactivant ces clichés oubliés, Paule Lanternier en devient l’auteur, elle leur impose son regard. Elle mêle dans l’exposition ces clichés trouvés à des images qu’elle a prises elle-même encore récemment, sans faire aucune différence. L’origine ne compte pas, seule l’intention est importante.
Dans cette absence d’indications quant aux dates, il y a la volonté que le spectateur perde ses repères temporels, n’arrive pas à classer chronologiquement les images.
Le but étant de présenter chacune d’elles sur un pied d’égalité. L’utilisation exclusive du noir et blanc participe à cette homogénéisation en ramenant tous ces inconnus dans un univers similaire. Également les titres courts et anecdotiques, parfois fantaisistes ou simplement «Sans titre», ne nous apprennent rien sur les scènes choisies.
Après les différentes manipulations et fragmentations arrive une deuxième étape essentielle dans la pratique de l’artiste, la monstration. Ces tirages ne reprennent finalement vie que par leurs confrontations, par les associations qui sont faites au mur, souvent par groupes de deux ou trois, parfois composés des fragments qui proviennent originellement d’une seule image. Plus qu’un accrochage traditionnel de photographies, l’exposition se rapproche de l’installation et tend à fonctionner comme un ensemble. Ce goût pour la mise en scène l’artiste avoue le tirer du théâtre, sa première vocation.
Les scènes représentées sont très diverses. Dans Lux Fiat, une femme est assise de trois quarts en extérieur ne porte rien d’autre qu’un short. Un peu plus loin, Faux Frères se compose d’un plan resserré où l’on devine deux hommes de profil, prenant la pose face à face en exhibant chacun un pistolet.
Dans ces deux photographies comme dans beaucoup d’autres images de l’exposition, Paule Lanternier a coupé les visages. En désindividualisant les personnages, en supprimant le caractère reconnaissable de ces gens pour se concentrer sur d’autres détails, l’imagination du spectateur se voit libérée, il peut à la fois se projeter dans ces scènes, se raconter des histoires de cowboys et d’armes à feu, ou encore laisser libre cours à ses fantasmes.
Ces personnes aux corps incomplets sont aussi ceux qui peuplent notre mémoire, ceux que l’on arrive jamais à se figurer dans leur totalité. Chaque photographie devient alors l’allégorie d’un souvenir, aussi fragmentaire que lui, que tout le monde peut s’approprier.
A l’intérieur de cet ensemble, une série de six photographies, Du plomb dans l’aile, est exposée accompagnée d’un texte explicatif. Elle se compose de portraits individuels dont chaque personnage se retrouve morcelé et décliné. Sous chaque image est inscrit un nom d’oiseau, tous aujourd’hui disparus nous apprend le texte.
Loin d’être un élément autonome, cette série apparaît à l’inverse comme l’exemplification de la démarche et de l’intention de Paule Lanternier. La dernière phrase du texte «ce qui disparaît devient méconnu et laisse le champ libre des interprétations et des associations hasardeuses» traduit clairement son intérêt pour la photographie argentique et son éviction progressive.
L’artiste désir donner un coup de projecteur sur ce médium, qui après seulement un siècle d’existence se voit peu à peu balayé par l’ère numérique. Elle explique que la pratique de l’argentique s’est constituée et a évolué socialement de manière très codifiée, et que ces codes qui ont influencé notre manière de voir et de faire des images n’ont pas été suffisamment digérés.
A travers l’exposition, nous retrouvons les pratiques les plus communes de la photographie amateur, à savoir le portrait individuel ou de groupe avec ses poses caractéristiques, les images de vacance, les évènements exceptionnels, brefs des moments de vie très loin d’une quelconque recherche artistique. Nombreux sont ces clichés qui dorment aujourd’hui dans les greniers et les placards avec le risque d’être complètement oubliés.
La parallaxe, qui donne son titre à l’exposition, est «l’incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet». Paule Lanternier, en nous invitant à regarder ces tirages morcelées sous un jour nouveau, met à la fois en forme le fonctionnement sélectif de la mémoire et nous appelle par la même occasion à ne pas oublier ces objets qui, derrière leurs aspects anecdotiques, sont toujours capables de nous révéler notre histoire.
— Paule Lanternier, Lux fiat. Photo.
— Paule Lanternier, Faux frères. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Grand jour. Photo argentique
— Paule Lanternier, Memini. Trois photos argentiques, dont deux négatifs sur plaque de verre
— Paule Lanternier, Thanks Edison. Photo argentique
— Paule Lanternier, 5 minutes. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Diptyque. Deux photos argentiques
— Paule Lanternier, 1 trentième. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Du plomb dans l’aile. Série de six photos argentiques
— Paule Lanternier, Parallaxe. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, J’ai deux amours. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Rideau. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique
— Paule Lanternier, Sans titre. Photo argentique, négatif sur plaque de verre