DANSE | CRITIQUE

Parades and Changes, Replays

PCéline Piettre
@03 Oct 2008

1965. New-York. Des hommes et des femmes se déshabillent et se rhabillent sur scène introduisant la nudité en danse. Scandaleuse, la pièce sera interdite aux USA pendant 20 ans… Elle ressuscite aujourd’hui à la Biennale de Lyon et au Centre Pompidou.

Les premiers sons qui se font entendre ne viennent pas de la scène, mais des escaliers, des gradins, à l’arrière. Les danseurs-performeurs — une dizaine — s’avancent lentement vers le plateau, s’exclamant, pleurant, racontant à voix haute des bribes de souvenirs dans une cacophonie bruyante. En chef d’orchestre improvisé, le compositeur Morton Subotnick dirige cette partition polyphonique, où les voix de chacun — les individualités— s’affirment puis se mélangent à celles de l’ensemble. Jusqu’à s’y confondre.

C’est ainsi que débute la version contemporaine de Parades and Changes, rejouée au Centre Pompidou par l’ex-membre fondateur du Quatuor Albrecht Knust, Anne Collod, et ses interprètes invités. Créée par Anna Halprin en 1965, la pièce s’organise en une succession de blocs d’activités — les scores — que les danseurs manipulent à leur bon vouloir. Une structure écrite qui accorde une place importante à l’improvisation et au travail en groupe, processus expérimentaux érigés en principes de création par la chorégraphe américaine.

Les « tâches » prédéfinies — marcher d’un pas lourd, s’étreindre ou crier — appartiennent au registre du quotidien. La fameuse séquence « Dressing / Undressing » — celle là même qui, taxée d’exhibitionnisme, fut à l’origine de la censure de la pièce aux Etats-Unis — abolit les frontières entre la danse et la vie (mise à niveau déjà initiée en art par Marcel Duchamp). Parfaitement identifiables, les gestes banals et fonctionnels deviennent matière chorégraphique, mettant sur le même plan spectateurs et performeurs. Une singularité qui porte en germe la révolution esthétique et politique de la danse post-moderne,  suivie  bientôt par Trisha Brown, Simone Forti, Yvonne Rainer…

Résolument prosaïque, cet étrange ballet intègre les éléments constitutifs du spectacle comme sujets à part entière. Lumière, dialogues, costumes et décors « montent sur scène », se donnent à voir dans une parade. Les classiques « projecteurs », petites lucioles ou ballons en suspension, s’exhibent aux côtés des chaussures et des chapeaux de toute sorte. Les moyens matériels de la représentation deviennent la représentation elle-même ; l’espace de la scène se confond avec les coulisses ; les relations entre protagonistes et scénographie sont bouleversées, les hiérarchies conventionnelles abrogées.

Néanmoins, si Parades et Changes, Replays reprend notre gestique quotidienne, s’apparentant ainsi au réel, la pièce dépasse la seule idée de « ready-made ». Par un subtil travail de déplacement, voire de détournement, l’action banale prend une dimension fictionnelle, son objectivité déborde vers le subjectif. Le rythme très lent, imposé pour « Dressing / Undressing » par exemple, rapproche le déshabillage de la pratique chorégraphique, en cela qu’il nécessite un travail sur la verticalité, l’équilibre, la fluidité et la continuité d’un mouvement. Cette double lecture du geste connu est intensifiée par la complexification de la trame scénique. Au fur et à mesure de la pièce, sur l’initiative des interprètes, les scores se multiplient et s’accumulent, se jouent en simultané, produisant une forme nouvelle, mouvante et collective.
Par leurs associations, donc, les tâches exécutées perdent leur réalité première et deviennent autres. Célèbre, la séquence qui consiste à déchirer de larges bandes de papier Kraft transforme les danseurs en une sculpture vivante et sonore, tandis que certaines rencontres se font sensuelles, quand elles réunissent l’acte — improbable ou hautement érotique — de se vêtir/dévêtir et de se regarder.

En revisitant Parades and Changes, donc, Anne Collod prolonge l’esprit d’une époque où les aspirations démocratiques mobilisaient la danse à travers une recherche du collectif, de l’égalitarisme, de l’expérimentation. Mais la chorégraphe parvient aussi à rendre compte, et plus universellement cette fois, de la fragilité et de l’incertitude de nos « trajectoires » contemporaines — relationnelles, politiques et artistiques. Si bien que l’on regarde le défilé final et sa débauche de costumes comme le symbole dérisoire d’une humanité à la recherche d’elle-même.

— Conception, direction artistique: Anne Collod, en dialogue avec Anna Halprin et Morton Subotnik
— Réinterprétation et performance: Boaz Barkan, Nuno Bizarro, Alain Buffard, Anne Collod, DD Dorvillier, Vera Mantero
— Musique: Morton Subotnick assisté de Sébastien Roux
— Lumière: Mikko Hynninen
— Collaboration artistique: Cécile Proust
— Costumes: Misa Ishibashi
— Graphisme partitions: Mathias Poisson
— Régie générale: Nicolas Barrot
— Chargés de production: Camille Desjardins, Marie Roche, Henri Jules Julien

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