Après avoir fait escale dans trois autres villes de France, Rennes, Lyon et Toulouse, l’exposition itinérante de Wang Du, intitulée « Wang Du Parade », prend fin au Palais de Tokyo. L’ultime étape de ce voyage au cœur de l’univers de l’artiste d’origine chinoise se déploie autour du Défilé, critique acerbe du pouvoir de manipulation des médias. Confrontation violente, la mise en espace de ce parcours au sein d’« images tridimensionnelles » absorbe le visiteur pour lui faire vivre physiquement une expérience spatio-temporelle.
La petite passerelle qui conduit à l’entrée du Tunnel d’espace-temps ne laisse en rien présager de ce qui va suivre. Si cet accès demande déjà quelques efforts, la suite de la visite dans ce gigantesque tube de métal s’avère très rapidement des plus difficiles.
Le spectateur est instantanément pris à partie. Il est submergé par un flot d’images et de sons, diffusés simultanément par les 66 moniteurs de télévisions qui recouvrent les parois grillagées de ce conduit. Un fort sentiment d’oppression, renforcé par l’espace exigu, souligne le parcours accidenté déterminé par l’artiste.
Wang Du nous plonge dans une consommation excessive d’informations: journaux compressés, fusion de langages incompréhensibles. L’ouverture sur un autre monde, fantasmé, fantastique, qui semblait se dessiner au départ, laisse la place à une procession laborieuse, à une perception amputée du monde réel qui nous entoure. On avance avec précaution, lentement. On assure ses appuis au sol alors que notre regard est attiré de toute part, troublé par des interférences « télé-visuelles ».
Puis on aperçoit la fin du tunnel, la lumière de la salle suivante. Mais il faut encore s’engager physiquement par une « sortie de secours », un toboggan qui nous éjecte de l’intestin bruyant, qui nous propulse à l’extérieur. Le temps s’accélère, le corps tout entier semble avoir été consommé puis digéré à son tour. Renversement de situation, nous sommes jetés à même le sol comme un produit dont on se débarrasse après utilisation.
Un face à face s’impose alors. World Markets, sculpture de métal froissée, démesurée, comme une boule de papier journal pétrifiée, se dresse devant nous. Il nous faut l’affronter, la contourner. Wang Du opère un déplacement. Le produit de consommation, périssable, devient sculpture exposée, pérennité révélée. Il souligne aussi la dualité des médias, support matériel d’une information impalpable, incarnée par le titre même de l’oeuvre présentant le marché de la finance.
Juste derrière, par un retour inattendu à la planéité, Tapis volant déroulé sur le sol présente, hors échelle, la couverture du Time Magazine évoquant l’explosion de la navette spatiale Columbia.
Tissé à la main, de manière traditionnelle cette œuvre nous renvoie à l’artisanat dont elle est issue mais aussi à l’industrie du magazine et à sa reproduction à grand tirage. Image merveilleuse de l’objet volant tiré d’un conte arabe, ce tapis se laisse traverser par le visiteur qui doit se déchausser pour en appréhender la surface. Paradoxe de ses fils de laine qui paraissent plus solides que le vaisseau de métal en combustion qu’ils dessinent, la lecture de cette immense page mène le regard vers la suite de l’exposition.
Enter !, un ensemble de huit sculptures de femmes, icônes démesurées, sont ancrées au sol par de lourdes chaussures qui laissent naître des jambes interminables conduisant vers de petites robes courtes et relevées. Prisonnières de leurs propres images, ces stéréotypes à la pose suggestive nous invitent à entrer dans un monde virtuel, rematérialisés le temps de la visite. Tournées vers le spectateur, leurs yeux vides marquent à la fois l’envie, le désir et l’incitation au voyeurisme. Le mur qui nous fait face affiche la reproduction d’un portail d’accès d’un site érotique japonais, imprimé sur une bâche. Les textes qui se détachent sur ce fond d’écran factice, « Not 18 ? Please ! Leave ! », nous poussent à aller plus loin. Nous traversons l’écran pour rejoindre la salle suivante d’où émanent des chants révolutionnaires chinois des années 1930.
On rentre dans un autre univers, celui du Défilé. Fil conducteur de toute la manifestation, l’œuvre se compose de seize sculptures. Char d’assaut, fusées, missiles et soldats, sont disposés sur un podium central. Cette parade festive est noyée sous d’étranges confettis. Elle laisse derrière elle un sol jonché de photocopies de journaux de politique de sécurité nationale. La musique, assourdissante, nous presse vers la sortie tout comme ces personnages de résine qui semblent emprunter le même chemin. Transpositions tridimensionnelles d’images de presse, ces moulages restituent fidèlement les cadrages photographiques dont ils se font l’écho. Cette mise en scène souligne à la fois la manipulation des médias, leurs côtés parfois trop esthétisant qui brouillent l’information et leur alliance néfaste avec la politique.