Paola Pivi est passée maîtresse dans l’art du renversement. Au lieu de coucher sur le papier ses idées, elle renverse des camions semi-remorques sur la route, ou présente à la Biennale de Venise un avion de chasse retourné, le cockpit à même le sol. Les propositions qu’elle invente contournent et renversent l’ordre établi. Le renversement est au centre de son travail au même titre que l’expérience.
Sa dernière intervention au Palais de Tokyo consistait à construire des petites buttes de terre. Encapuchonés dans des survêtements identiques, une demi douzaine d’athlètes étaient invités à courir pendant trente minutes dans ce manège en forme de cercle.
Une de ses dernières inventions consistait à reproduire, à l’échelle un, une île minuscule, mais plus grande qu’un rocher sortant de l’eau. Grâce aux photographies, les spectateurs pouvaient voir des morceaux de l’île dans les galeries et les institutions où le projet était présenté. Reprenant à son compte les utopies de Borgès et de Carroll, la jeune artiste italienne allait contre les précautions d’Umberto Ecco, qui prétend à “l’impossibilité d’établir une carte de l’empire à l’échelle 1/1” dans Pastiches et Postiches (2000). La carte deviendrait alors un calque, et elle ne provoquerait plus la distance nécessaire à sa conceptualisation.
C’est avec un travail analogue que revient l’artiste à Paris. La photographie et la mer sont au rendez-vous. Le bizarre et l’étrange sont également présents. L’utilisation d’animaux empaillés (Cattelan, un autre italien), découpés et plongés dans le formol (Damien Hirst), ou transgéniques, comme Alba le petit lapin fluo d’Eduardo Kac, sont devenus incontournbales dans l’art contemporain. Néanmoins, malgré ce bestiaire de l’étrange, c’est toujours avec étonnement que l’on retrouve ces bestioles sur les murs des galeries.
Les zèbres, les autruches, les ânes répondent “présent” à l’invitation de l’artiste. Paola Pivi se tranforme en nouvelle Noé et transfuge tout son petit monde sur des barques avant le Déluge. Elle photographie un âne au milieu de l’eau, deux autruches dans la même situation. L’élément liquide est très présent dans cette série.
La banalité des scènes et l’éxotisme des sujets provoquent un résultat haut en couleurs. La définition du pittoresque signifie ce qui mérite d’être peint, avec Pivi on assiste à une définition et à un genre quelque peu différent, on est face à ce qui mériterait d’être imaginé.
Le mélange des genres et l’hybridité des situations donnent à voir et à comprendre un monde qui oppose le genre humain et animal. Elle repousse les limites du bons sens et des conventions : le haut et le bas, la carte et le calque, l’humain et l’animal.
Cette série est une nouvelle brique apportée à l’édifice de déconstruction qu’entreprend l’artiste depuis quelques années. Sur le mode du contre-pied. Ses actions font toujours événement, et le résultat est souvent à la hauteur de l’attente.
Toujours surprenante, Paola Pivi traverse l’art contemporain comme une météorite. Elle draîne avec elle un univers qui se renouvelle et qui prend le risque d’être nouveau. Polymorphe, son travail s’adapte à tous les lieux. La seule constance dans son travail réside dans l’utilisation du spectaculaire. Son œuvre n’est pas pittoresque mais spectaculaire. Ayant bien compris les rouages et les modes de fonctionnement du milieu artistique, ses actions arrivent toujours comme des upercuts. Pratiquant un art du crochet, elle projette par terre les camions, les avions mais aussi le spectateur.
Paola Pivi
— Sans titre (Zebras), 2003. Tirage sur forex.
— Sans titre (Ostrich) , 2003. Tirage photo sur dibond. 125 x 156 cm.
— Sans titre (Donkey) , 2003. Photo couleur. 180 x 224 cm.
— Sans titre (Massimo) , 2003. Tirage photo sur dibond. 100 x 150 cm.
— Sans titre (Alicudif from underwater) , 2003. Tirage photo sur dibond. 125 x 175 cm.
— Sans titre (Ostriches) , 2003. Tirage photo sur dibond. 122 x 158 cm.