Quatre photographies sont présentées pour la première exposition personnelle de Panos Kokkinias à Paris. Les quatre grands tirages sont des nocturnes à la composition et à la couleur affirmées. D’une très grande qualité, les quatre vues représentent des paysages urbains pris entre les tenailles des projecteurs, du néon ou des phares des automobiles. Le sujet traité est banal, mais la facture est soyeuse et délicate. A partir des « no mans land » péri-urbains le photographe parvient à créer des tranches de vie où l’absence et la rencontre sont au rendez-vous.
On peut parler de son travail comme celui d’un peintre. La scène de la station service (Gas Station) participe à l’édification des mythes urbains. Un pompiste dans une guérite, une voiture de sport jaune poussin, et une vamp de dos, glissée dans une robe rouge carmin, le tout baigné dans un halo vert. Une atmosphère très Rencontre du troisième type, la nuit et puis au milieu un cercle de lumière.
Tout autour de l’oasis autoroutier règne l’espace de la nuit. La pénombre descend sur ce lieu où tout le monde passe mais où personne ne reste. Le forçat de la nuit regarde droit devant lui, la belle blonde lui tourne le dos. Indifférence, mépris? Chacun à sa place, tout le monde s’ignore? Le doute persiste, les interrogations de ce genre resteront après la fin de l’expo.
Pourquoi peintre? Pour les couleurs d’abord, on pense à Hooper avec ses scènes si contemporaines, et l’utilisation de cette lumière si particulière, jaillissant des stores, venant éclairer de biais un bar ou une chambre à coucher. La lumière est striée, hachurée, elle est un alibi pour boire, où une dénonciation quand elle se love dans la chambre à coucher, et qu’elle vient répandre un voile de soupçon sur l’alcove.
Hooper pour les couleurs et pour la chronique des lieux, mais ausi Di Lorca (actuellement au CNP) pour la photographie. Dans les deux cas, il y a la même volonté de raconter une histoire. Cette dernière arrive par bribes, par morceaux, elle s’articule comme un patchwork. Il ne faut pas y rechercher un début et une fin, mais la prendre comme une expérience. L’histoire fonctionne comme une brève de comptoir, comme un instantané, comme un besoin de libérer une parole. Ici la parole est silencieuse : elle termine autant la fin d’une phrase, qu’elle vient ponctuer la conversation.
Les clichés de Kokkinias fonctionnent comme une ponctuation qui prendrait le temps de respirer. Elles sont ces petites bulles d’air qui permettent de reprendre son souffle. Elles sont moins dans le discours, le soliloque, que dans l’entre-deux. Le photographe cadre son sujet, mais la lumière électrique, artificielle vient également faire son plan de coupe. Séparer du jour et de la nuit, l’objet illuminé vient faire vivre sa propre histoire.
Aucune métaphysique est à voir dans ces compositions léchées et colorées avec talent. Non, il faut les voir comme des moments — des instantanés — de trêve, de repos. La photographie vient jouer son rôle de parenthèse, elle vient marquer de son empreinte un instant particulier. Le réel ici n’est pas capté mais bien construit, composé.
Le couple de la station essence est un vaudeville autoroutier. Malgré une ambition à la hauteur des tirages très grands, on pense aux moments suspendus que narre Philippe Delerme dans La Première gorgée de bière. Une des nouvelles qui composent le recueil de tous ces instants ténus qui nous enchantent, prend comme décor l’intérieur d’une voiture, la nuit, sur l’autoroute. Les phares éclairent la route, le cadran illumine l’intérieur avec ses diodes rouges et vertes. Comme pour un retour de week-end, les quatre photographies de Kokkinias sont des objets qui encouragent la méditation, le calme et le repos. Faire le plein de gazoil sur cette route revient à faire le plein des sens.
Panos Kokkinias
— Underpass, 2003. Photo. 127 x 153 cm.
— Piraeus, 2003. Photo. 127 x 183 cm.
— Gas Station, 2003. Photo. 127 x 230 cm.
— Spata, 2003. Photo. 127 x 173 cm.