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Panorama 6 : Casting Stories

Publication annuelle des travaux des 44 élèves du studio national des Arts contemporains du Fresnoy. Un catalogue qui a pour figure tutélaire, Jean-Luc Godard, l’un des huit artistes invités issus de disciplines variées (parmi lesquels André S. Labarthe, Alain Buffard et Sven Pahlsson). Une promotion sous le signe de l’image et du corps…

— Auteurs : les élèves ; Avant-propos d’Alain Fleischer ; Prologue de Joëlle Pijaudier-Cabot
— Éditeur : Le Fresnoy, Tourcoing
— Année : 2005
— Format : 20,50 x 27,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 120
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-9519186-5-8
— Prix : 15 €

Prologue
par Joëlle Pijaudier-Cabot

Alain Fleischer, directeur du Fresnoy, aime à rappeler les trois fonctions de l’institution, indissociables les unes des autres et sous-tendues par le fil rouge de la pédagogie : l’enseignement, la réalisation, la diffusion. Ces trois aspects ou prérogatives, autour desquelles sont réunies un ensemble d’étudiants, comparable en rien à la promotion d’une grande école, ni à une troupe de spectacle vivant, ou encore à un chœur d’opéra, accompagné d’artistes professeurs invités, s’ils ne constituent pas le sujet d’une exposition, sont mus cependant par une logique, un sens, celui que dégagent les travaux en cours.

En tant que commissaire invitée, mon premier mouvement, me référant à l’ouvrage majeur de Robert Filliou Teaching and learning as performing arts (Enseigner, apprendre, Arts vivants), fut de considérer cette ambition pédagogique comme création à part entière. Pour présenter une année de recherches, d’échanges, pour suivre au plus près l’évolution et la réalisation des projets de chacun, il aurait fallu pouvoir retranscrire les dialogues, les entrevues multiples entre étudiants, artistes et protagonistes divers de l’institution et de l’exposition. De cette dimension dialogique, plusieurs œuvres présentées dans «Panorama 6» portent l’empreinte, proposant des prototypes de la conversation et de l’échange, introduisant à une «esthétique conversationnelle» ; des entretiens ou une communication de plus en plus fragmentaires, constamment sujets aux dérives (appels, texto),aux intrusions d’un autre discours, parasitant, voire interdisant le nappage discursif (Hicham Benohoud, Flavio Cury, David Link, Anna Katarina Scheidegger…).

L’exposition associe des artistes professeurs invités, venus d’univers et d’horizons divers, et dont la réunion annuelle vient à nouveau confirmer l’ambition pluridisciplinaire et transdisciplinaire du Fresnoy: Jean-Luc Godard et André S. Labarthe, cinéastes, Alain Buffard et Armando Menicacci, venus du monde de la danse ; Andrea Cera, de la musique de synthèse ; Hicham Benohoud, de la photographie ; Sven Påhlsson, des arts numériques et David Link, des nouvelles technologies de la communication.

À ces artistes sont liés 44 étudiants, venus d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Europe, du Moyen-Orient, et issus de cursus des plus divers, Beaux-Arts, majoritairement, mais aussi cinéma, musique, théâtre, architecture ou encore disciplines scientifiques…

L’exposition relie enfin des médias et des médiums différents, images argentiques ou numériques, photographies, vidéos, films, images de synthèse, dispositifs interactifs, créations musicales de diverses sources, dans cette «Boîte de nuit» chargée d’histoire, habitée pour l’occasion d’une multitude d’écrans, bruissante d’images et de sons, que constitue l’espace du Fresnoy.

«CASTING STORIES» : au regard de cette année d’échanges et de productions, un fil conducteur reliant une majorité des œuvres m’a paru se tendre, celui de la forte présence de la trame narrative: beaucoup d’histoires, mettant en scène et en images, fixes ou animées, des récits — biographies, romans d’initiation, auto-fictions, fictions — autant de formes dont le fil narratif procède, selon les œuvres, par flux, syncopes ou encore disruption (Sébastien Caillat, Antonia Fritche, Céline Huyghebaert, Tami Notsani, Yaël Perlman, Chen-Huei Sun…).

Leurs registres, parfois emprunté au mode théâtral, puisent aussi volontiers dans l’univers de la peinture, de Vermeer à Greuze, de Brueghel à Bonington, dans certaines de ses inflexions (Zoé Inch, Alain Puel, Cyprien Dedeurwaerder, Carolina Saquel…), et très largement dans celui du cinéma, de Godard à Duras, de David Lynch à Gus Van Sant (Émilie Aussel, Loï;c Bontems, Teboho Edkins, Bruno Elisabeth…).

De casting aussi, il en est question, à travers ce jeu avec les références et la façon dont les œuvres les mobilisent, par évocations, citations, enchâssements, ou encore effets de mise en abyme, pour en faire leurs matériaux mêmes.

À coté de cette présence affirmée du mode narratif, d’autres propositions se dégagent de «Panorama 6», qui viennent nourrir des champs d’investigation importants au regard de l’histoire de l’image en mouvement, et plus généralement de l’art «à l’âge contemporain».

Parallèlement à leurs exigences techniques, les nouvelles technologies obligent à repenser l’œuvre face à l’histoire de l’art à travers l’épreuve de la description, jusqu’à proposer parfois un mode d’emploi, pour les installations interactives notamment. Comment le visiteur va-t-il s’approprier l’œuvre, savoir l’interroger, l’allumer, s’y promener ; est-ce suffisant pour se l’approprier ou la comprendre ? quelle pratique d’exposition inventer, au regard de telles œuvres ? Cet effet de description, intimement liée, sans doute au projet pédagogique de l’institution, est aussi l’un des éléments forts qui traversent l’exposition et le catalogue qui l’accompagne (Anna Sokolova, Kingsley…).

Il faut enfin souligner la forte présence de la danse et des techniques du corps, des modelés et des modèles, devenus ressources plastiques qui, comme les nouvelles technologies, viennent ici prolonger le corps en le connectant au monde des réseaux et des pages d’accueil, comme un maillon, parfois manquant ou fantôme, d’un circuit rhizomatique (Alain Buffard et Armando Menicacci, Roland Edzard, Fabien Giraud, Éric Pellet, Maxime Thieffine…).

Un autre récit vient ici s’esquisser, polysensoriel, immémorial et mémorisable, qui pourrait contenir en germe l’ un des «Grands Récits» de l’aujourd’hui et du futur de l’humain.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Fresnoy — Tous droits réservés)

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