Avec Pan ! Lionel Hoche nous propose une scénographie qui fait penser au surréalisme, tant par l’amas d’objets surprenants et inattendus, que par l’insolite de leur suspension dans l’espace, car les objets sont littéralement suspendus en nuée au-dessus de la scène. C’est une œuvre plastique en soi, qui renvoie à une cosmogonie, au moment initial de surgissement d’un monde — quelque peu déchu et bizarre, vu les objets de récupération qui portent encore les traces d’un usage récent. Il y va d’un monde arrêté dans son point même d’éclosion, explosion figée dans son moment de tous les possibles. Le chorégraphe démiurge a installé sa trame.
Inspirée de la mythologie Hopi et des détournements d’Erwin Wurm, la proposition de Lionel Hoche se fonde sur la force visuelle des images en mouvement qui envahissent la scène. Cet univers gagne en puissance de vérité, s’enrichit tout autant de la substance de la danse que les cinq interprètes incarnent, que des pulsations d’une musique électronique intelligemment construite, qui mêle dans ses fréquences basses des bruits et respirations mystérieuses de la nature.
Les danseurs semblent disparaître sous de multiples couches de hardes et masques multicolores. L’aspect chaotique et bariolé, loin de nous faire basculer dans l’ubuesque et le dérisoire, confère du pouvoir à ces accessoires, les transforme en attributs obligés et indispensables.
Le premier moment pose comme évidente et indispensable leur présence glissant continuellement entre le hiératique et le trivial, si spécifique aux êtres mythiques, dans le monde Hopi ou ailleurs. Leurs gestes s’imposent à nous comme des bribes de rituels nécessaires au bon déroulement de ce monde en suspension.
La pièce aurait très bien pu fonctionner avec ces seules présences et leur gestuelle, affichée et absconse. Le chorégraphe trouve une qualité de mouvement qui vient très heureusement conforter ce dispositif. La danse est le principe même de vie, le fluide, le flux qui irrigue ce monde. Elle est protéiforme, elle glisse, en perpétuelle composition et recomposition, entre l’informe et le défini, et joue sur les différents registres de l’organique. Dans le même temps, elle se place sous le signe ludique et mystérieux d’un jeu des masques. Ce sont tout d’abord des tissus qui couvrent les visages et les yeux, des facéties au maquillage violent et au sourire en toc de stars américaines. Ce sont aussi des masques de feuilles ou couvertures agrémentées de bouteilles et bidons en plastique à moitié remplis d’eau pour donner de la consistance à la masse informe qui rampe bientôt au fond de la scène. Enfin, des masques amérindiens en emballages et cartons de toutes sortes : cubis, cartouches de cigarettes, boîtes de céréales, de biscuits ou de lessive.
Ce monde de la récupération, malgré son aspect extravagant, caduque aussi, n’est pas du tout transparent et gratuit. Il trouve son épaisseur, sa substance dans la créativité débordante des populations non occidentales qui intègrent dans leurs mythes et pratiques rituelles des éléments dérisoires de la « civilisation ». Il exprime aussi l’étonnement engagé du chorégraphe face à la furie « des biens de consommation que notre société génère à une vitesse affolante. »Â
— Conception : Lionel Hoche
— Interprétation : Arnaud Cabias, Max Fossatti, Cyril Geeroms, Xavier Kim, Diane Peltier, Shlomi Tuizer