Paintings, intitulé simple et dépouillé comme l’est cet ensemble de sept toiles sans titre. Cette absence d’incitation littéraire met en lumière ce qui est nommé et a valeur pour toutes, c’est-à -dire : «peintures».
Le moment où la peinture parle, je dirais ici chuchote, car ce qui se capte c’est d’abord un silence, un calme. La galerie alors a quelque chose d’un cloître ouvert sur la couleur ; îlot de sérénité dans cette rue Quincampoix dont le passé parisien a laissé quelques stigmates de bruits visuels et sonores.
Carl Ostendarp nous invite à une réflexion, un recueillement.L’accrochage des œuvres y contribue pleinement, respectant à la fois la respiration de chaque tableau tout en conservant les liens ténus qui les unissent. Il faut donc être confronté à l’espace de la galerie et au rayonnement de chaque œuvre pour comprendre et éprouver.
Le calme invite à la réflexion ; clef, serrure, cœur en pleur, lunettes, haricots, œuf sur le plat, ciseaux : ces objets du quotidien peints sans anecdote, en plans de subtiles couleurs, nous questionnent sans nous imposer leur réponse.
Peut-on dire que l’œuvre se situe dans l’esprit de la peinture nord-américaine? Hopper ouvrait à partir de son contact avec l’impressionnisme la voie à une représentation du quotidien. Si sa peinture est un constat rehaussé d’une lumière crue presque proche d’un Chirico, Carl Ostendarp propose un regard cognitif, utilisant l’objet de tous les jours dans un dépouillement allant presque jusqu’à une présentation symbolique.
D’autres héritages, si l’on tentait de définir une peinture américaine, passeraient sans doute par l’expérience surréaliste, par le Pop Art, ou les chemins presque aujourd’hui classiques d’un Pollock, Rothko ou Stella. Je ne vois cependant ni le lien littéraire des uns, ni la truculence vive et brillante des objets de grande consommation des autres, ni la gestualité, la monumentalité ou la rigueur minimale et presque froide des derniers.
Cependant l’objet est là , la peinture et son support de lin grossier, une monumentalité se dégage. Dans l’espace de ces canvas sans cadre, les champs de couleur dans leur économie de tons, la justesse des rapports de forme, l’équilibre fragile entre cadrage et composition, nous parle d’une peinture réfléchie, où une forme d’intelligence semble conduire où contenir la sensation, l’émotion, effaçant la donnée intuitive de la conception ; absence aussi d’un message ostentatoire rendu manifeste.
Les objets ici sont objet de réflexion.
Un réseau presque ludique tend des fils de l’un à l’autre, lien de formes (lunettes, ciseaux, œufs sur le plat) ou de couleurs (jaune des larmes de serrure, du fond des lunettes, du plein de la clef).
Carl Ostendarp présente plus qu’il représente, il semble nous dire : «Ce qui est là est ailleurs». La découverte de cet ailleurs demande de voir et de regarder dans un espace et dans du temps ; c’est ce temps que la galerie Gilles Peyroulet nous invite à partager.
— Untitled (Eggs), 2002. Acrylique sur lin. 5 éléments : 48 x 124 cm.
— Untitled (Bleeding Heart), 2002. Acrylique sur lin. 81 x 66 cm.
— Untitled (Scissors), 2002. Acrylique sur lin. 81 x 101 cm.
— Untitled (Keyhole), 2002. Acrylique sur lin. 89 x 114 cm.
— Untitled (Peanuts Under Horizon), 2002. Acrylique sur lin. 132 x 196 cm.