S’il a d’abord été connu comme étant l’acteur principal du premier film d’Andy Warhol (Sleep, 1963), John Giorno doit à sa plume et à ses bons mots l’embellie de sa carrière artistique, alors qu’il fut l’un des plus proches collaborateurs de William S. Burroughs, Allen Ginsberg et, plus généralement, de la Beat Generation.
Parmi les nombreuses aquarelles ou toiles noires et blanches qui viennent scander quelques unes des plus marquantes litanies du poète, l’exposition «Paintings» propose en effet de revenir sur l’un des tout premiers et des plus originaux projets de John Giorno: un vieux téléphone noir à cadran sur lequel est inscrit Dial-a-poem apparaît comme un hommage à ce projet lancé en 1968, qui consistait à appeler un numéro afin d’entendre un poème récité à l’autre bout du fil.
Le fil de la carrière de John Giorno fut quant à lui d’ouvrir la poésie à des champs plus vastes, à l’incarner, à l’inscrire sur des toiles, à la faire vivre dans des performances. Réinventant la poésie, John Giorno la fait aussi basculer dans la musique, l’underground rock, et la rend finalement accessible à la culture dite «de masse». Mais en se «popularisant» et en se trouvant transvasées dans des registres plutôt inhabituels jusque-là , la force de la parole et la puissance du verbe ne se dissolvent pourtant pas. Et c’est bien ce que laisse transparaître «Paintings»: les mots de John Giorno ne perdent rien de leur superbe et nous claquent en pleine gueule.
Habitués à se développer dans de véritables poèmes et à s’étendre sur la page imprimée, les vers du poète se font ici beaucoup plus concis et se ramassent en quelques formules mordantes. Effectivement, ce sont les vers les plus percutants de son répertoire qui nous sont ici présentés, ou du moins ceux qui auront le plus hanté l’imaginaire du poète, et qu’il aura réussis à articuler en une toile.
Car le poète reste en quête d’absolu, voulant absorber le ciel entier (Eating the Sky), et renoue également avec la tradition grecque antique des bacchanales et des orgies célébrées en l’honneur de Dionysos et des dieux créateurs (We Gave A Party For The Gods And The Gods All Came).
En s’ouvrant à la culture de masse, la poésie n’en demeure pas moins subversive et critique à l’égard des valeurs établies et de la société de consommation: Just Say No To Family Values, Money Is Blood, Je fais la queue les courses à la main et je veux sortir sans incident.
L’écriture de John Giorno détruit encore tout aussi bien les clichés de l’amour platonique et de la poésie courtoise en se faisant provocante, voire carrément obscène, lorsqu’elle affirme I want to cum in your heart (Je veux éjaculer en ton cœur).
Surtout, ses litanies balancent entre sagesse et fatalisme (Don’t Wait For Anything, I Resigned Myself To Being Here), espérance et désespoir (There Is Always A Hope, It’s Worth Than I Thought, Life Is A Killer), et renvoient à leur vanité tout aussi bien les individus (Chacun est une déception totale) que l’existence en général (The World Just Makes Me Laugh), ou tout type de pensée se voulant sagesse (Everything Is Desillusion Including Wisdom). Une forme d’ironie salvatrice, en somme, qui vient nous rappeler que la véritable sagesse se moque d’elle-même et que la poésie, au-delà de ses pouvoirs incantatoires, peut investir le champ du visible et brouiller les frontières entre les arts.
Å’uvres
— John Giorno, I Want To Cum In Your Heart, 2012. Sérigraphie sur toile. 122 x 122 cm
— John Giorno, I Want It To Rain For The Rest Of My Life, 2012. Silkscreen on canvas. 122 x 122 cm
— John Giorno, We Gave A Party For The Gods And The Gods All Came, 2012. Silkscreen on canvas. 122 x 122 cm
— John Giorno, Thanx 4 Nothing, 2012. Deep Scarlet red, Faber-Castell pencil on paper, 40,64 x 40,64 cm
— John Giorno, Thanx 4 Nothing, 2012. Cadminum Yellow, Faber-Castell pencil on paper. 45,72 x 45,72 cm