L’exposition se présente d’abord sous la forme d’un petit théâtre dévoilant derrière deux rideaux rouges un tableau de deux demi-crânes en plastique sur un fond noir opaque. C’est la première toile d’une pièce en quatre actes de quatre scènes (soit seize tableaux et bronzes, plus un en extérieur: Sifflements), qui donne le ton très «macabre» et pourtant tonifiant de cette exposition.
Ce renvoi au théâtre de crânes est une allusion évidente aux propriétés cathartiques, aux «vertus de sublimation», associées au procédé pictural inventé par le peintre. C’est aussi une variation sur le thème des vanités adapté à notre modernité. Mais ces vanités ne débouchent nullement sur un sentiment mélancolique. Elles suscitent plutôt l’optimisme nerveux d’un Francis Bacon malgré la conscience d’un monde au seuil de l’horreur.
En parcourant les différentes scènes de l’exposition comme autant de déclinaisons de cette thématique des vanités, on appréciera les audaces formelles, les jeux iconographiques que l’artiste applique à ce sujet!
Dans la toile intitulée Farewell, le regard insistant d’un jeune homme sort de (beaux) draps dont la blancheur n’est pas sans évoquer celle de l’Olympia de Manet; le tout frappé d’une lumière caravagesque. On retrouve là cette capacité de Stéphane Pencréac’h de jouer avec une multiplicité d’emprunts à l’histoire de l’art: Bacon, Richter, Fontana, Manet, Caravage, etc. Le blanc des murs renforce la dynamique des clairs-obscurs tranchants des tableaux.
La sculpture en bronze — Haut relief 1 (crâne) — se compose d’une main qui nous offre un crâne surgissant d’un écran d’ordinateur. Avec cette référence explicite à une vanité de Caravage (ou de Frantz Halz, Le Jeune Homme au crâne notamment), Stéphane Pencréac’h s’empare, ici encore, d’une thématique surcodée par l’histoire de la peinture, et qui connaît aujourd’hui une nouvelle faveur (chez Damien Hirst par exemple). L’œuvre crève littéralement l’écran (de l’ordinateur Mac) dans une trouvaille plastique qui ne perd en rien de sa puissance métaphorique.
Stéphane Pencréac’h propose deux autres sculptures en bronze peint, dont Femme invisible 2 figurant le corps déchiqueté d’une femme dont les chaussures à talon restent miraculeusement intactes! Le titre paraphrase celui d’un tableau célèbre de Francis Picabia: L’Homme invisible.
L’invisibilité renvoie aussi au procédé d’étalement et d’écrasement plastique de cette sculpture qui semble flotter près du sol, et qui suggère une forme d’anamorphose chère à la peinture baroque.
C’est la combinaison d’une esthétique de la fragmentation, du désossement (métaphore de l’émiettement spirituel et de l’éclatement du monde) qui met en scène la pulsion de mort (Thanatos) avec une peinture du féminin, de l’Eros. La dernière toile de l’exposition (Primitive, Acte 1 scène 1) ramènera d’ailleurs le spectateur au trouble infantile de la scène primitive.
Avec la peinture L’Archi-énonciateur, Stéphane Pencréac’h nous replonge dans son théâtre. Derrière des rideaux rouges, deux figurines en résine représentent un robot tout droit sorti de Starwar et un primitif africain, souvenir d’une enfance passée en Afrique.
Ce tableau illustre la fascination ambivalente du peintre pour les images télévisuelles, cinématographiques, numériques; leur capacité à nourrir la peinture tout autant qu’à l’inhiber. La litanie du vide de sens de notre époque importe moins ici que le renouvellement de l’art pictural au travers de ce thème convenu.
Stéphane Pencréac’h passe ainsi en revue la plupart des vanités (crânes, squelettes, fleurs, miroirs, etc.) en les soumettant à toutes sortes d’expérimentations.
Ainsi, à propos d’une toile comme La Forêt, Pencréac’h déclare: «J’introduis des fragments d’humains, des bouts de mannequins qui sont déjà en eux-mêmes des illusions en 3D». Ces objets réels sont combinés avec une peinture réaliste de femme ou de nature morte. Dans Le Roi sans rien ou Primitive, ces agencements d’objets réels et «virtuels» (une marionnette de guignol avec un figure de squelette) font du tableau «une illusion mécanique, physique et intellectuelle», explique Stéphane Pencréac’h, qui précise: «Une œuvre est avant tout un espace dans lequel on pénètre, ou qui s’avance vers nous».
Pour parvenir à cette illusion Stéphane Pencréac’h multiplie donc toutes les trouvailles plastiques. Ces audaces formelles prennent corps aussi bien dans la découpe de la toile que dans les imbrications d’espaces. On peut ainsi apprécier le jeu avec les miroirs peints et les vrais miroirs (le tableau du chat blanc: Acte 3, scène 1, Mus Musculus).
Enfin, l’usage de la réserve donne tout son éclat à cette lumière éblouissante enveloppant le jeune homme de l’Adieu. Elle semble aussi aspirer (inspirer) la jeune femme lovée de Pain is Love. Ce thème de la béance, du trou, mais aussi de l’ouverture prolonge ce travail sur l’espace et renvoie aux célèbres figures de Francis Bacon, «aspirées» par des bouches de lavabo dans son Triptyque de mai-juin 1973 (Collection Saul Sternberg). Comment fuir un monde abject? Comment créer du «possible» aurait dit Deleuze.
C’est en cela que la peinture de Stéphane Pencréac’h se révèle innovante, même si elle s’applique à la plus proche et lointaine tradition picturale. La référence constante au thème du miroir, par exemple, peut tout autant évoquer le Caravage qui se servait du miroir comme médiation entre les personnages, que permettre à Stéphane Pencréac’h d’exercer sa virtuosité sous la forme d’ovales épurés pour adoucir ainsi la dureté du sujet.
Cette même élégance formelle se retrouve d’ailleurs dans ces parallélépipèdes qui viennent encadrer certaines figures à la manière de Bacon (Sifflements).
Stéphane Pencréac’h se sert donc de l’histoire de la peinture comme d’un «disque dur» de l’art dans lequel il trouve des solutions à ses problèmes formels. Mais cette convocation des artistes et des images du passé ne se fait jamais de façon littérale, mais plutôt sous la forme d’un jeu de mémoire (miroir) et d’une volonté de poursuivre cet amour de la peinture (Pain is love) !
Liste des œuvres.
— Stéphane Pencréac’h, Haut relief 1 (crâne) Bronze
— Stéphane Pencréac’h, Acte 4 scène 1 (l’Archi-énonciateur). 2 figurines en résine et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Haut relief 2 (bras). Bronze.
— Stéphane Pencréac’h, Acte 3 scène 2 (Farewell). Tissu et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 2 scène 2. Bras de mannequin et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 2 scène 1. Huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 3 scène 1 (Mus Musculus). Miroir et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 4 scène 2 (Le Roi de rien). Marionnette et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Femme invisible 2. Bronze
— Stéphane Pencréac’h, Acte 4 scène 3 (Final). Fragment de mannequin et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 1 scène 1 (primitive). Mannequin en plastique et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 3 scène 3 (la Forêt). Fragments de mannequin et huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 1 scène 3. Huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Acte 1 scène 2 (Pain is love). Huile sur toile
— Stéphane Pencréac’h, Femme invisible. Bronze peint
— Stéphane Pencréac’h, Acte 4 scène 4 (Sifflements). Deux demi-crânes en plastique et huile sur toile.