C’est dans une arène ou un ring, placé en contre bas, au centre des spectateurs, que s’affrontent les deux jeunes chorégraphes interprètes.
Quelques panneaux de contre-plaqué délimitent un espace encaissé, un box sans fioritures ni accessoires derrière lesquels se cacher. L’éclairage est brut, assez fort pour rendre visible chacun des visages qui composent le public et par-là même les adjoindre au décor. D’ailleurs le public s’installe tout autour de la scène tandis que les interprètes sont déjà en place. Comme pour lui signifier qu’il appartient au temps de la représentation, que ses gestes autant que sa présence sont convoqués, non seulement à titre de témoin, mais aussi en tant qu’acteur d’un jeu qui exige sa participation.
La consigne de départ est simple : il s’agit pour les deux lutteurs de se soustraire aux regards qui les assaillent, d’escamoter leur présence visible par tous les moyens possibles. Pour se faire, les stratégies vont se multiplier. On peut les énumérer ainsi : recouvrement, illusion, échange, retournement, superposition, écrasement, mélange, inversion, synchronisme, imitation, objectivation, détournement, effacement, substitution…Â
Si l’échec est la seule issue, tant il est impossible d’échapper au dispositif panoptique mis en place (il existe toujours autour de cette scène un œil pour voir ou reconstituer le corps qui tente de s’échapper), l’enjeu de cette séance de catch est ailleurs.
Plutôt que d’accomplir leur ambition folle, les deux chorégraphes entraînent le spectateur dans des torsions, des anamorphoses et des jeux d’optique qui le contraignent à adopter certains points de vue ou, au contraire, à en abandonner.
Ainsi, selon qu’ils proposent dans un angle une diagonale imaginaire à suivre pour procéder à l’effacement d’un des corps, ou qu’ils se positionnent face à vous, à quelques centimètres de votre regard, vous fuyez dans les directions qu’ils vous assignent ou vous interdisent. Pas un spectateur pour tenir le regard qui s’offre frontalement et ne pas chercher chez le second danseur un échappatoire, ou encore dans le regard des autres membres du public … Il y a dans P.A.D un travail laborieux d’expérimentation, mis au jour sans artifices, qui pourra paraître aride ou inachevé. Pourtant, l’ensemble fascine, intéresse, et ne lasse jamais.
Dérober à l’autre, se dérober au regard, utiliser comme en escalade des « prises » et se les accaparer, tant de gestes en apparence anodins, qui pourtant trahissent une pulsion vitale, presque dramatique, d’exister en se faisant caméléon en se soustrayant à un regard tout puissant… problématique d’autant plus intéressante qu’elle nous est proposée par deux interprètes de William Forsythe. Ainsi c’est avec un vocabulaire volontairement réduit que Ioannis Mandafounis et Fabrice Mezliah parviennent à nous faire oublier le maître, mais surtout à s’émanciper d’un système chorégraphique (l’Improvisation technologies qui donna lieu à la création d’un CD-Rom d’entraînement à l’usage des danseurs de sa compagnie) en attaquant frontalement le cube qui le régit ainsi qu’en démontant petit à petit les présupposés qui le fondent.
— Chorégraphie et interprétation : IoannisMandafounis et Fabrice Mazliah
— Espace scénique : Max Schubert