Communiqué de presse
BGL, Michel de Broin, Sylvie Bussières, Sébastien Cliche, Patrice Duhamel, Pascal Grandmaison, Meesoo Lee, Eve K. Tremblay, Michèle Waquant
Outrans’ Atlantiques
«Outrans’Atlantiques» est un sondage non-exhaustif mais significatif du paysage artistique québécois qui s’efforce de rassembler des artistes qui ont développé un rapport singulier au réel et à leur environnement. C’est en maniant le « déplacement », le « retournement » ou le détournement qu’ils « détraquent » ce réel ou en traquent les débordements.
BLG agit collectivement aux frontières de l’art et du réel. À travers ses installations, objets ou actions, ce groupe de 3 artistes instrumente la porosité de ces frontières, singularise la réversibilité du monde sur le mode de l’échange ou du jeu de l’inversion et produit des situations déstabilisantes. Ainsi avec Rapide et dangereux (2005), les 3 artistes s’insèrent dans la circulation de la ville de Québec en poussant une moto de course accidentée dont la roue avant est montée sur une chaise roulante. « À la limite du fait du divers » disent-ils, cette intervention expose à outrance « ce qui relève de l’utopie de la machine, l’ultra-performance, la vitesse et la mythologie du motard ».
L’idée de résistance est au coeur du travail de Michel de Broin. Sans héroïsme, militantisme, et autre idéologie du « contre », il pratique le parasitage et le retournement physique des champs du réel en faisant corps avec les systèmes désamorcés. Avec le projet Shared Propulsion Car (2005), il vide une Buick de sa substance (moteur, suspension, système électrique) pour la transformer en simple voiture à pédales réduisant ses pointes à 15 km/h, objet « impossible » qu’il actionne dans les rues de New York. Ou encore, avec Keep on smoking (2006), il bricole une bicyclette afin que l’énergie cinétique produite par le cycliste parte littéralement en fumée. Il propose ainsi deux alternatives absurdes et paradoxales à la crise du pétrole et à la culture de la performance.
Avec ses « objets géographiques », Sylvie Bussières interroge le sens et la logique des formes en dialoguant avec les lieux et leurs représentations objectives. Elle problématise la carte et le plan comme exposition du réel (l’immensément grand) et comme espace symbolique de projection. Qu’elle transpose des topographies de territoires inhabitables à l’échelle du domestique, de la maison à deux pentes, ou qu’elle construise des objets (chaussures, valises) avec des fragments de cartes, Bussières s’adonne au collage et cristallise le déplacement potentiel inscrit dans la carte en la mettant littéralement en mouvement.
Sébastien Cliche travaille sur des projets et séries qui soulignent « notre difficile rapport aux autres, à l’environnement social et ses attentes de performance et de succès ». Avec Refuges, il photographie des lieux à la fois confortables et effrayants, des espaces de repli sur fond de paysage québécois – la forêt, la cabane – et produit des images ambiguës, presque fantastiques où pèse la menace de situations irrésolues.
Patrice Duhamel pratique la vidéo, le dessin, la musique improvisée et l’écriture critique. Il y remet notamment en question les conventions qui régissent les rapports que nous entretenons avec notre environnement matériel et social, et interroge ou « détraque » les normes comportementales dans lesquelles il cherche à réintroduire des éléments narratifs.
Pascal Grandmaison, à travers ses photographies et ses films, explore notre rapport à l’autre et au lieu par le biais de l’image et des jeux sur la perception. Ses vidéos et ses installations plongent ses sujets dans un dispositif complexe de reflets et de cadres qui sont autant de filtres entre le spectateur et le réel. Avec une même attention portée au détail et une grande précision, Double brouillard fait le portrait d’un homme sans expression apparente évoluant dans l’atmosphère oppressante d’une architecture contemporaine. L’espace filmé, support de compositions abstraites et de références aux codes de l’art contemporain, pose la question de l’adéquation entre le personnage et son environnement. Regarde-t-on le lieu comme un personnage ou le personnage comme un lieu ?
« Élevé, dit-il, par des parents coréens et la télévision américaine», le vidéaste Meesoo Lee apporte de ce fait un regard extérieur et amusé sur le contexte de la création canadienne. Présentés à plusieurs reprises au Québec, ses films aux moyens rudimentaires confrontent des éléments disparates issus de la culture populaire. Chikubi reprend au ralenti les images d’un film animalier, la course-poursuite d’un lynx et d’un lièvre dans les rocheuses canadiennes. L’ajout d’une bande-son pop et langoureuse transforme cette séquence de chasse en une parade amoureuse.
S’appuyant sur des univers et des disciplines allant du littéraire au scientifique, les photographies de Eve K. Tremblay jouent avec le fondement fictionnel de notre construction de la réalité. Ses images formant des séries recèlent une forte dimension narrative et discursive. Les mondes, actions et personnages mis en suspens sont retournés et déplacés dans l’intitulé même de l’image. Les titres, qui « donnent à voir » (The Tear Catcher, Mémoire anticipée d’une jeune fille dérangée) en proposant une inversion langagière ironisant les situations, confèrent à l’ensemble de son oeuvre une inquiétante étrangeté.
L’oeuvre vidéo ou photographique de Michèle Waquant s’appuie sur l’expérience du temps de l’observateur. Jouant sur le rapport attente/événement, Michèle Waquant guette patiemment les passages rapides, furtifs ou violents d’un état à un autre. Figure de la rupture (la chute d’un pin), du débordement (impression débâcle), ou « mise » sur le temps, son travail impose une distance voire un éloignement. Peut-être celui de l’exilée.