Embarquons sur un navire paré de blanc en partance vers les dérives flibustières des Oulipiens. Partis à l’assaut de la littérature, des mathématiques, de la clownerie, les passagers-visiteurs se trouvent face à une exposition qui appelle les mots pour les mettre en bouche et en forme. Étapes après étapes, notre véhicule prend l’air d’un paragraphe ou d’une simple formule.
Le mouvement littéraire et plastique, l’Oulipo est un terrain fertile pour la recherche des contraintes, de l’analyse, de l’expérimentation et du jeu donnant à la littérature un sens nouveau en créant la figure d’un poète-chimiste qui manie le stylo et le geste pour naviguer sur les jeux de mots dans un brillant décalage entre la rigueur du langage et l’idiotie (savante) des propos.
Le départ et l’entrée en matière se font par un «Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs» (Alamo), imaginé il y a ving-cinq ans par Paul Braffort et Jacques Roubaud. La relation de cette pièce avec la science renvoie aux fondements de l’Oulipo, créé en 1960 par Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais.
Sur l’ordinateur, le visiteur ouvre un programme lui permettant de produire un texte en un seul clic. Ces textes-poèmes créés au moindre effort offrent une variété extraordinaire de combinaisons langagières. Maîtres du débit textuel, nous puisons dans la richesse du vocabulaire poétique.
Puis notre navire résonne de sons, de chants et de paroles : tour à tour des chansons composées par Paul Brafford à partir de textes poétiques et des lectures données par des Oulipiens comme Jacques Roubaud, Jacques Jouet ou Michelle Grangaud.
Au mur, Paul Brafford présente une série de livres dont chacun des titres contient au moins le nom d’un membre qui constitue une famille (sœur, aïeux…). Cela témoigne du goût que les Oulipiens nourrissent pour les groupes, le rassemblement, l’organisation, les cultures dites «inférieures» et les rebuts — qu’ils transforment parfois en rébus ou simples poèmes.
Hervé Le Tellier constitue par exemple un Hurbier — herbier urbain — en recueillant des objets du quotidien auxquels il offre un haïku simple, parfois drôle ou délicat. Sa démarche rappelle celle de Francis Ponge qui, sans être oulipien, redonnait une dignité à des objets dévalués par l’usage comme le savon, le cageot, etc.
Le jeu et la joie de la création s’expriment dans un tableau d’école où Frédéric Forte a fixé des feuilles de bristols dont les permutations permettent de composer des poèmes Bristol(s), de manière aléatoire — à l’aveugle — ou calculée. Par exemple : « Sans plus d’indication/Envisager quoi/Refusant les images/Dans l’incohérence/T’additionner/Parmi les multiples/Pour rien/Que peut-il être/Sur le papier/En tracés possible/… ».
On poursuit notre voyage-exposition avec une Balade à vélo au cours de laquelle on est invité à lire des textes sur un écran tout en pédalant sur un vélo d’intérieur. Est-ce en référence à l’image d’Épinal où des individus pédalent pour produire l’étincelle électrique de l’intelligence scientifique, toujours est-il que l’on a le sentiment d’intégrer l’œuvre tout en détruisant le stéréotype de l’intellectuel haïssant les pratiques sportives, et en goûtant au romantisme de la balade.
Le jeu des combinaisons s’exerce dans une série de trente sept photographies, (sélectionnées dans un ensemble de 900) intitulée Cause Communes. Présentées côte à côte et par groupes, elles forment huit phrases homophoniques composées par les panneaux routiers des noms de communes ou de lieux-dits. Ces phrases, qui détruisent les règles de la rhétorique classique, nous invitent à recomposer ces assemblages.
Parallèlement, Jacques Roubaud rend hommage à Raymond Queneau par une série de photographies de plaques d’immatriculation faisant référence aux «Nombres de Queneau». L’utilité de ces plaques est un repère dans notre environnement urbain, une marque, comme les nombres sont un repère pour les déclinaisons de la science.