Carole Benzaken
Oui, l’homme est un arbre des champs
Carole Benzaken développe un travail pictural qui questionne le statut de l’image, sa représentation comme sa perception dans l’espace du tableau et hors du tableau. Elle ne cesse de brouiller les pistes en se renouvelant constamment par l’usage de nouveaux médias et de nouveaux dispositifs qui s’inscrivent aujourd’hui dans l’espace tridimensionnel.
Carole Benzaken présente à cette occasion des Å“uvres à la frontière entre figuration et abstraction, dans lesquelles une prolifération rhizomatique contamine divers médias en décomposant et recomposant la figure de l’arbre. Ramifications plutôt qu’arborescences débordent en se démultipliant sur divers supports.
A travers un ensemble de travaux (les Magnolias, Portes – Tehilim, Od drwzi do drzwi, Yemima, Makom ou l’installation Migration temporaire), l’artiste poursuit sa réflexion en troublant la représentation du réel pour mieux lui rendre sa visibilité.
Dans la série des Od drzwi do drzwi (De porte en porte), Carole Benzaken déstabilise la perception du spectateur par des effets de flux, d’accélération qui altèrent l’image source, (road movie d’arbres en hiver): cette dilatation de l’espace et du temps est transposée par une touche picturale qui fait vibrer voire trembler la représentation. Le flou de l’image rend le sujet immatériel, distordu et imprécis. L’effet optique de ce long déplacement produit sur le spectateur un sentiment de fugacité et d’éblouissement.
Jouant de la floraison si particulière des magnolias, dont l’éclosion des fleurs précède celle du feuillage, passant sans transition de l’hiver au printemps, les Magnolias, peintures à l’encre de Chine rehaussées au crayon de couleur et feuilletées dans du verre, sont une nouvelle proposition plastique.
Un cadrage serré combiné à l’épaisseur opalescente du verre permettent au spectateur de ressentir la présence de l’arbre par des effets vibratoires et veloutés: Les ombres transparentes, les dégradés de tons, la nuance éthérée des fleurs s’opposent à la calligraphie des branches noires. Ce contraste se dilue dans un enchevêtrement visuel qui nous éloigne de plus en plus d’une représentation figurative. L’alchimie fusionnelle du verre et de la couleur harmonise le regard vers une abstraction «atmosphérique» au plus près de l’essence de l’arbre.
À la suite d’un projet autour du livre d’Ezéchiel, Saviv Saviv, (la vision des ossements secs Ezéchiel 37: 1-14) qui avait pris forme lors de son exposition au MAHJ (Musée d’art et d’Histoire du Judaïsme), en 2011-2012, et dans le centre d’art de Bielsko-Biala en Pologne (2012), Carole Benzaken prolonge et approfondit cette méditation formelle avec la série inédite des Portes – Tehilim (les psaumes).
En élargissant les possibilités plastiques de son observation sur le thème de la contamination, Carole Benzaken propose ici des Å“uvres constituées de bandes de papier peintes à l’encre de Chine et à l’encre lithographique. Ce foisonnement vertical entre chevelure et bobines de films se confond avec l’arrière-plan dont la palette chromatique est réduite aux seuls noirs et blancs sublimés par quelques taches colorées de fruits ou de feuilles. L’Å“il s’immerge jusqu’à s’étourdir devant cette pluie de signes. Notre rétine reconstitue l’image composée d’une multitude de lamines de papier. L’artiste invoque ici une mémoire séquencée, dont la fragmentation permet à la fois une lecture globale et la perception d’une infinie variété de sensations.
Installées légèrement en saillie sur le mur, en suspens entre peinture et bas-relief, ces œuvres sont la synthèse d’une recherche que l’artiste entreprend sur de multiples supports depuis 2006. Elles associent des concepts supposés antinomiques fusion / fragmentation, représentation / évocation. La disposition des œuvres que Carole Benzaken a disséminé dans les espaces de la galerie témoigne de son attachement à la mise en volume de la peinture qu’elle déploie dans l’architecture du lieu.