Tu as commencé très jeune la danse classique, avant de t’orienter vers la danse contemporaine. Pourquoi ce changement?
Camille Ollagnier. J’ai commencé la danse en troisième section de maternelle dans une petite école à Falaise. En CE2, j’ai intégré le conservatoire de Caen en horaires aménagés. J’ai alors reçu une formation en danse classique complétée, une fois par semaine, par un cours de danse contemporaine. Malheureusement, le système des horaires aménagés ne continuait pas jusqu’au lycée. C’est à ce moment là que j’ai commencé à faire un peu plus de danse contemporaine, les circonstances s’y prêtaient.
Puis j’ai entendu parler du Cnsmdp (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris). Lorsque j’ai décidé de passer le concours. Je n’avais pas le niveau pour rentrer en classique, mais la danse contemporaine a été plus accessible.
Dès le départ tu as choisi la chorégraphie, de composer pour d’autres. Pourquoi ce choix d’être chorégraphe plutôt que danseur-interprète?
Camille Ollagnier. Je suis entré au Cnsmdp en 2001. Durant les deux premières années je suis resté un peu à l’écart du groupe d’élèves de ma promotion. C’est à cette période là que j’ai commencé à écrire, à noter les idées et les images qui me trottaient dans la tête.
En troisième année, pour les ateliers chorégraphiques, j’ai commencé à travailler sur une histoire de métronome. J’ai créé occurrences, un trio de 2min 30.
Le bon accueil qui a été réservé à cette réalisation m’a conduit à continuer et développer un travail sur la météo marine. Sub Rosa est devenue la première création de ma compagnie, qui a été présentée au festival d’Artdanthé en 2007.
J’ai rarement été interprète de mon travail, car être sur scène ne m’a jamais vraiment intéressé. Je préfère créer des spectacles!
Tu dis avoir créé ta propre compagnie pour «faire danser ce que tu aimerais voir sur scène». Cela définit-il ton engagement de chorégraphe? Comment le caractériserais-tu?
Camille Ollagnier. Exactement! Faire danser «ce» que j’aimerais voir sur scène! C’est une jolie formulation.
Etre chorégraphe n’est pas la même chose pour tout le monde! Pour moi cela consiste à relier des éléments qui peuvent faire sens. Je ne m’interdis absolument rien! L’objectif est de trouver le geste le mieux adapté au contexte.
Lorsque j’ai créé ma compagnie en 2006, à 22 ans, je n’avais jamais travaillé en compagnie, ni passé d’audition, ni dansé pour un chorégraphe! J’ai appris que l’important est de respecter l’interprète. Mon but est de mettre en valeur les danseurs. La beauté réside dans le moment où les gens se battent pour réussir! Quand on tombe, ce qui est intéressant c’est que l’on se relève et non pas que l’on est tombé! Je travaille à ce que les gens puissent se relever, à ce que le danseur soit beau en permanence!
Ton projet Les Garçons sauvages, présenté au festival Faits d’hiver, est composé d’un enchainement de cinq solos masculins? D’où vient son titre? Et pourquoi avoir concentré l’écriture chorégraphique sur le solo?
Camille Ollagnier. Le titre vient du livre de William S. Burroughs, Les Garçons sauvages. Il s’agit d’un recueil de courtes nouvelles qui décrivent à chaque fois un garçon dans une situation. C’est la structure du livre qui m’a intéressé: l’absence de narration, la juxtaposition de ces précipités sans lien apparent mais qui, mis bout à bout, construisent l’œuvre. J’ai donc décidé d’appliquer cette structure à la danse.
Le premier solo a été écrit pour Nans Martin. A partir de L’Angle mort et à la suite de à rebours, j’ai eu envie de créer une pièce à 9 ou 14 interprètes, un triptyque d’environ 1h30. Pour l’instant 5 solos sont écrits. L’idée est de pouvoir apprécier chaque danseur indépendamment et que la succession des solos conditionne une perception globale de la pièce offrant plusieurs niveaux de lecture.
Comment s’opère la mise en espace du corps dans un solo? Cette forme met-elle en scène un type particulier de corporéité?
Camille Ollagnier. C’est complètement différent d’une pièce de groupe! J’ai plutôt tendance à chorégraphier l’espace entre les personnes que l’espace de la scène. Ce qui m’intéresse n’est pas nécessairement l’endroit où se situe le danseur sur scène. Il m’arrive évidemment de guider plus ou moins le placement sur le plateau, mais la plupart du temps il s’agit d’aller là où les pas nous mènent!
Parfois des contraintes scénographiques s’imposent. Par exemple, pour Ni vu ni connu, avec Thomas Lagrève, l’écriture a conditionné son placement. J’avais besoin que son entrée et sa sortie soient immédiates. Pour l’espace de Micadanses, j’ai donc pensé le début et la fin du solo en fonction de la localisation des coulisses. Au final, l’important dans ce solo c’est la continuité du déplacement dans l’espace et non la géographie du corps sur le plateau.
Mon objectif étant de mettre en valeur le danseur, le point de départ est toujours son corps. Les solistes ont tous des corps différents, la chorégraphie doit s’y adapter. Mon rôle est de conduire les interprètes, de les pousser là où ils ne pensaient pas pouvoir aller. Sans être directif, j’aide le danseur, je le guide.
Comment as-tu sélectionné les interprètes? Selon quels critères? Quelle place occupent-ils dans le processus de création?
Camille Ollagnier. Ce sont «ceux» que je voulais voir danser.
Pour L’Angle mort j’ai répondu à une demande. Pour les autres solos il s’agit de garçons dont je me souviens, que j’ai vu danser ou pas…, des garçons que j’ai eu envie d’embrasser parfois, des amis aussi. Il s’agit simplement de personnes qui peuplent mon quotidien. Cela étant j’ai, au départ, réduit le champ des interprètes aux danseurs. Pour le douzième solo j’ai ouvert le cercle en prenant un réalisateur.
Je conçois la chorégraphie mais tout est déterminé pour les danseurs. Ils sont au centre de la création. En studio, le travail consiste à trouver des solutions pour accorder mes idées aux possibilités de l’interprète.
Tout se construit à partir du corps du danseur, dans l’écriture de la danse, mais aussi dans la matière du spectacle en général. Le danseur est au centre de tout.
Tu dis que «la somme des solos pourrait être supérieure à leur juxtaposition», qu’est-ce que cela signifie?
Camille Ollagnier. Cela renvoie à l’idée du corps holistique. La succession des solos renvoie à la structure du livre de Burroughs. C’est à la fin, lorsque tous les solos seront juxtaposés, que l’on pourra appréhender l’œuvre dans sa globalité. Une œuvre qui, par ailleurs, en dira assez long sur moi.
Le projet des Garçons sauvages est «de voir ce que chaque danseur nous dit, ce que le chorégraphe dit avec l’ensemble de ces danseurs».
Je suis attentif à la multiplicité des possibilités. A chaque nouvelle combinaison de solos, de nouvelles choses vont émerger. Tous les solos ne seront pas nécessairement interprétés ensemble, leur succession est aléatoire, établie par tirage au sort (méthode Cunningham). Avec les 5 solos existants, déjà 120 combinaisons sont possibles. Quand les 12 solos seront montés, il sera impossible d’interpréter toutes les combinaisons! Chaque représentation est une nouvelle écriture.
La pièce Les Garçons sauvages va-t-elle évoluer? Et quels sont tes projets?
Camille Ollagnier. De fait Les Garçons sauvages va évoluer. Je prévois de chorégraphier en 2013 les 7 solos suivants. Et 2014 ce sera la construction de la pièce à 12 danseurs et sa diffusion par la suite. Je travaille aussi sur des projets vidéo liés à l’espace scénique, mais également sur des courts métrages. Je pense au théâtre aussi… Je ne sais pas comment tout cela va évoluer. Ma seule contrainte c’est de ne pas tomber dans un système d’écriture chorégraphique.