Sophie Calle
Où et quand ? Lourdes
Je demande aux cartes si je dois emmener ma mère à Lourdes.
Maud Kristen prend la photo rituelle. Une loupe est nécessaire, mais on peut voir un petit quelque chose sur l’image, autour de mon visage. Sur le polaroïd de trois centimètres sur quatre, on distingue, avec beaucoup de bonne volonté, un halo doré. Une auréole.
Lu dans La Tache, de Philippe Roth : “Voilà ce qui arrive quand on écrit des livres : ce n’est pas seulement qu’une force vous pousse à partir à la découverte des choses ; une force les met sur votre route. Tout à coup, tous les chemins de traverse se mettent à converger sur votre obsession.”
Les cartes : Ce que vous allez chercher à Lourdes est d’ordre guerrier. Une façon de faire votre deuil en grand, de porter à un niveau collectif une histoire personnelle. Confier votre mère à Marie. Lui demander de vous consoler. Utiliser un symbole universel pour régler un problème personnel. Lourdes sera facilitante. Allez à Lourdes rencontrer la Vierge, mère pleine d’amour, pour renouer le fil de votre histoire.
Je me pince.
Maud : “Aller à Lourdes, c’est un devoir. J’ai le devoir de vous envoyer là où je vous vois. Ça va être bien.” Elle le dit trois fois : “Ça va être bien, ça va être bien, ça va être bien.” Et deux fois : “Il faut y aller, il faut y aller.” Avec ou sans ma mère.
Ivanka Ivankovic, la jeune Croate, quand elle a vu la Vierge à Medjugorje, venait de perdre sa mère. Comme si une disparition entraînait une apparition. Ma mère succombe et ma voyante m’expédie à Lourdes.