Comme de coutume au Via, l’exposition commence dans les vitrines de la galerie. Entre deux larges bandeaux fluorescents, le visiteur peut découvrir un alignement d’objets de petite taille qui semblent destinés à la célébration d’un culte : de la vaisselle en porcelaine, une coupe en bois, un lutrin, un livre-objet et un mystérieux objet baptisé Dévotion. En poussant la porte, le regard déjà habitué à cette vision rapprochée est surpris par une pièce monumentale : une construction cylindrique de 5 mètres de haut, qui semble flotter au milieu de la pièce. Ce changement d’échelle est un bon moyen de se plonger dans l’œuvre d’un designer qui, depuis le début des années 80, ne cesse de circuler entre le design d’objets et l’architecture.
Diogène, le nom de cette pièce, est toutefois la seule incursion de l’exposition dans ce dernier champ de création. Il s’agit d’une unité d’habitation expérimentale sur deux niveaux qui évoque par sa forme le célèbre tonneau du philosophe grec. Si le designer a conçu en 1996 l’architecture du Chai du Château Saint-Selve, la réflexion qui a conduit à ce projet semble davantage en rapport avec 12.07, l’espace de vie « minimal et métaphorique » qu’il a imaginé en 2000. Dans les deux cas, l’idée est de proposer des aménagements intérieurs qui prennent en compte les dimensions réduites des habitats contemporains. Plus précisément ici, le designer explore la possibilité de ne pas organiser ces espaces sur la seule base de la nécessité, mais de réintroduire une impression de fluidité et de liberté de mouvement, indissociable de la notion de plaisir. Tout en respectant les différentes normes en vigueur dans l’habitat (de sécurité, d’hygiène, de préservation de l’environnement), Diogène constitue une vision alternative aux cadres de vie traditionnels, dont il souligne l’uniformité.
Cette œuvre manifeste, emblématique du travail d’un designer qui n’a jamais appartenu à aucune école, donne d’ailleurs son titre à l’exposition : « Ôte-toi de mon soleil » est la réponse qu’aurait fait Diogène à Alexandre le Grand qui lui demandait ce qu’il souhaitait. Le roi lui faisait de l’ombre… Les références littéraires ou philosophiques sont fréquentes dans l’œuvre de Sylvain Dubuisson, mais elles se dévoilent rarement aussi facilement. Ainsi, la lampe La Licorne (1996) renferme une copie du message adressé par Marie-Antoinette au chevalier de Rougeville… dissimulé dans une cartouche elle-même logée dans le cylindre technique. On trouve le même goût du secret dans le « bureau pour une femme » Quasi una fantasia (1982) : sur le côté d’une table en noyer, une étrange construction dorée à la feuille abrite de manière invisible un tiroir, trois plumiers, une armoire avec tablettes, un miroir à trois faces et le mécanisme d’une boîte à musique !
Ces objets semblent conçus pour servir de support aux rêveries de leurs propriétaires, et pour entretenir la curiosité de ceux qui les contemplent. Même leurs formes ne se laissent pas appréhender facilement : privilégiant la courbe, elles révèlent de nouveaux aspects dès qu’on change de point de vue. La précision et la richesse des détails font penser au travail d’un artisan d’art, le goût pour l’expérimentation des nouveaux matériaux à celui d’un ingénieur. Toutes ces caractéristiques réunies au sein d’un même objet dégagent une poésie qui ne cesse de surprendre.
Dans le catalogue de l’exposition que lui consacrait les Arts décoratifs en 2009, Sylvain Dubuisson déclarait justement : « Mes objets peuvent être parcourus dans un laps de temps court et dans une durée plus étendue : le premier correspond à la rationalité des objets, le second à la familiarité, ou à ce que son usage ne devienne pas une lassitude ». Le visiteur du Via, guidé dans sa découverte par une information minimale (nom de la pièce, année de sa conception et matériaux employés), aura parfois l’impression de rester à la surface des choses. Voire — comme Diogène — dans une certaine pénombre…
Sylvain Dubuisson
— Table porte-revue Education National. Guéridon lumineux en plexiglas et inox. 38 x 58 x 26 cm
— Bureau 89. Placage sur structure en contreplaqué acajou, sous main cuir. 75 x 190 cm
— Diogène, installation, 2009. Anneau de bois OSB. Diam : 5 cm
— Diogène, installation, détail de l’escalier, 2009. Anneau de bois OSB. Diam : 5 cm
— L’aube et le temps qu’elle dure. Chaise en tôle aluminium cintrée, gainage cuir. 81 x 50 x 42 cm
— Diogène, installation, image de synthèse, 2009. Anneau de bois OSB. Diam : 5 cm