Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio, Suh Seung-Won
Origin
L’exposition «Origin» retrace le parcours du groupe Origin créé en 1962 par un groupe d’artistes coréens, issus du département de peinture de la prestigieuse université Hongik. Origin s’est développé pendant plus de 50 ans, fait rare pour un groupe artistique, renouvelant et repoussant les limites de l’art abstrait. Les membres fondateurs d’Origin, Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio et Suh Seung-Won, sont des personnalités importantes qui ont exprimé leur originalité à travers l’exploration de l’art abstrait.
Nés au début des années 40, ces 3 artistes ont connu la colonisation japonaise, la guerre de Corée et la révolution du 19 avril 1960. Ces événements de l’histoire récente ont blessé profondément le peuple coréen en lui infligeant des souffrances indescriptibles. Ainsi, il convient de replacer les œuvres de ces artistes dans leur contexte historique. Au début des années 60 lorsque Origin fait son apparition, le monde de l’art coréen se divisait en trois formes principales: l’académisme, hérité du Japon, qui était centré sur l’imitation et la reproduction, l’«abstraction chaude» qui sublimait les souffrances existentielles de la guerre de Corée à travers la peinture, et enfin la «peinture raisonnée» qui reflétait un nouvel environnement social au lendemain de la révolution du 19 avril 1960 pour la démocratie. Ces trois courants sont intimement liés aux événements historiques qu’a subis la Corée, d’ailleurs les deux derniers furent créés par des artistes issus d’universités des Beaux-Arts inaugurées après l’instauration de la République de Corée en 1948. Ainsi ces deux formes d’art symbolisent les prémisses de l’art contemporain coréen et revêtent une grande importance du point de vue de l’histoire de l’art coréen.
Une décennie environ sépare ces deux courants et leurs concepts sont assez distincts. Il est intéressant de souligner que si le premier courant extériorisait la souffrance et l’horreur de la guerre, le second tente, au sein d’un environnement instable, de reconsidérer «les origines de la peinture» à travers une vision constructive du monde.
Si on se demande si un art «à la fois réfléchi et sensuel» a réellement existé, nous pouvons en trouver l’exemple dans les œuvres des artistes d’Origin, en particulier, Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio et Suh Seung-Won qui représentent et reflètent les changements de l’époque. C’est vers 1967 au moment de l’exposition «Korea Young Artists Combined» que leurs œuvres s’affirment encore un peu plus. Choi Myoung-Young s’essaie à une œuvre abstraite traitant du problème originel de la peinture, Suh Seung-Won expérimente une composition de l’espace stricte à travers la figure du triangle et des baguettes de couleurs tandis que Lee Seung-Jio construit une œuvre abstraite géométrique par la répétition de structures cylindriques. Le critique Oh Kwang-Su avait décelé dans ce courant la «nouvelle perception de la peinture objective».
L’émergence consécutive de différents groupes artistiques au début et au milieu des années 70 favorise la diffusion de nouvelles expérimentations en peinture et en sculpture ou encore la performance.
C’est le mouvement Dansaekhwa (peinture monochrome) qui se démarque dans les années 70. Officialisé en 1975 à travers l’exposition «Five Korean Artists, Five Kinds of White» à la Tokyo Gallery, le Dansaekhwa a continué sa percée en 1977 lors de l’exposition «Korea: Facet of Contemporary Art» au Tokyo Central Museum of Art, et en 1983 avec «The Latter Half of the 70’s: An Aspect» exposition qui a voyagé dans cinq musées au Japon. Figurant dans des manifestations artistiques de grande ampleur organisées par le Seoul contemporary Art Festival ou l’Ecole de Séoul, le Dansaekhwa est ainsi devenu le courant principal de l’art coréen. Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio et Suh Seung-Won se rapprochèrent des artistes Dansaekhwa de la génération précédente qui développaient leurs oeuvres approximativement à la même période et partageaient une situation culturelle identique.
Le Dansaekhwa, mouvement principal des années 70-80, privilégie la pureté et le côté intact des éléments jusqu’à leur maturation, propre à la culture coréenne. Ainsi, ils limitent leur palette de couleurs tout en insistant sur l’ascèse à travers la répétition de gestes, appliquer, vaporiser, marquer la peinture. L’abstraction n’était pas le but ultime mais plutôt un moyen d’atteindre le moi intérieur, un espace spirituel, la nature et l’univers. On trouve aussi cette spécificité esthétique dans les travaux respectifs de Choi Myoung-Young, Suh Seung-Won et Lee Seung-Jio.
Sign of Equality de Choi Myoung-Young révèle le caractère extensible de l’espace qui ne possède plus de limite et peut se dilater à l’infini. Cette dimension peut être perçue comme l’agrandissement de la surface de contact entre le corps et le sujet plutôt qu’un simple accent mis sur l’importance de l’espace. Si l’on considère que la toile est un petit univers, l’artiste doit sans cesse être en contact avec elle. L’artiste a utilisé son propre corps comme instrument, plutôt qu’un pinceau, et plus particulièrement ses doigts qu’il tamponne sur la toile. En fait, il ne s’agit pas seulement d’utiliser son corps comme medium, comme c’est souvent le cas, mais de rentrer en contact avec la toile.
La géométrie est au cœur de l’œuvre de Suh Seung-Won depuis plus de 50 ans. C’est en quelque sorte un artiste «au souffle long». En témoigne le titre de ses œuvres qui ne change pas: Simultaneity. Sur une partie de la toile, alternent une superposition de losanges de couleurs différentes et de lignes solides ou encore une concentration de structures en forme de boîtes. La surface du fond reste monochrome, comme pour décrire l’état de sérénité de l’artiste. Les peintures abstraites, qui mettent en avant la géométrie et la couleur, non seulement sculptent l’espace mais conservent une approchent lyrique de la couleur et du motif, créant une harmonie entre elles. Malgré une composition claire, ses œuvres dialoguent intimement avec ce monde géométrique que l’artiste a créée virtuellement (le sujet). Dans son œuvre, même le fond ne reste pas un simple arrière-plan.
Nucleus (titre commun à chacune des œuvres) de Lee Seung-Jio est composé de rayures en noir et blanc, ou plutôt de longs rectangles qui évoquent des objets froids et métalliques. Lee Seung-Jio peint ce motif jusqu’au début des années 70 qui consiste en la répétition du passage du pinceau en bandes horizontales, verticales ou diagonales plus sombre sur les bords et plus clair au centre créant l’illusion de cylindres en relief.
Cependant à partir de 1975, il s’éloigne progressivement de la forme cylindrique qui devient de plus en plus floue par un jeu d’ombres et de lumières bleues et noires. Bien qu’il ne change pas réellement de technique, il atténue la différence de luminosité entre le centre et les bords des cylindres, effaçant leurs séparations. Ce changement exprime probablement «la prise de conscience de la planéité initiée par le Dansaekhwa» qui prédomine à cette époque. C’est durant cette période que Lee Seung-Jio réalise ses œuvres les plus contemplatives et paisibles. Les tonalités foncées divisent, séparent, fusionnent, matérialisant le Yin et le Yang en des variations répétitives et enfin se propagent sur toute la surface de la toile pour «vibrer secrètement sur un rythme immanent répété à l’infini» (Lee Yil).
En Corée, la peinture abstraite fut dominante dans les années 70, bien que cette période fut particulièrement difficile à tel point qu’on l’a qualifiée de «Bo-rit-go-gae» (printemps de disette), elle fut sur le plan artistique une période exceptionnelle et marquante, comme en témoigne le Dansaekhwa.
Certains artistes du Dansaekhwa tels que Park Seo-Bo, Chung Chang-Sup, Ha Chong-Hyun, Yun Hyong-Keun et Chung Sang-Hwa, qui célebrent les propriétés physiques, sont identifiés au monde de la nature, alors que Choi Myoung-Young, Suh Seung-Won et Lee Seung-Jio tendent à surpasser la matérialité grâce à un vocabulaire formel très articulé en relation constante avec le sujet. Leurs œuvres sont empreintes d’un grand dépouillement, qui résulte d’une méditation sur soi et d’une introspection, ils expriment en noir et blanc, la lumière et l’ombre de la vie.
Cette exposition montre comment des artistes coréens, puisant dans la tradition, ont été confrontés et ont surmonté les problématiques de l’époque contemporaine. Les artistes coréens des années 70 ont sublimé l’art contemporain en «une topographie propre à leur langage maternel» tout en aspirant aux standards universels et en s’attachant à la modernisation de la tradition. Au premier plan de ce mouvement figuraient les artistes Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio et Suh Seung-Won.
Seo Seong-Rok (critique d’art). Commissaire: Park Seo-Bo
Vernissage
Samedi 9 janvier 2016 Ã 16h