Dire que l’œuvre de Véronique Joumard est tournée toute entière vers une recherche d’expérimentations de phénomènes liés à la lumière serait un peu rapide. L’artiste n’hésite pas à convoquer une pléthore de matériaux — du miroir (Miroirs, 2003) à la peinture thermosensible (Orange, 2003), en passant par la vidéo (TGV Video, 2002) et la photographie (Travelling, 2003) —, et à les mettre à chaque fois en adéquation avec le lieu d’exposition.
Ce processus n’est pas là pour représenter la lumière, mais pour lui poser cette question fondamentale : « D’où viens-tu ? ».
Tour à tour naturelle et artificielle, cette lumière se joue des variations. Un mur de la galerie, qui fait face à la baie vitrée, est intégralement recouvert d’une couche de peinture thermosensible. La surface, à la planéité désormais instable, change de couleur sous la double action du soleil qui l’éclaire et la chauffe, et des visiteurs qui la touchent comme pour vérifier (Orange, 2003). La couleur ne délimite plus le mur. La frontière est brouillée entre cette surface plane, notre déplacement, et l’environnement aérien et impalpable de l’espace d’exposition.
Comme pour prolonger ce travail in progress du matériau, l’artiste photographie un paysage méditerranéen à partir d’une maison en construction (Travelling, 2003). Le site est là depuis toujours, mais le point de vue adopté est un lieu dépourvu de réelle identité, un édifice entre le chantier et la ruine, la construction et l’abandon. C’est l’entre-deux qui domine ce panorama que seul le ciel d’un bleu uni semble tenir dans la stabilité.
Sans qualité est encore cette installation d’appliques murales (Sans titre, 1993) que l’on croise habituellement dans les salles d’attentes ou les couloirs de lieux publics. Véronique Joumard les a détournées de leur usage premier et les a disposées en forme de constellation. Ces objets habituellement envisagés d’un point de vue purement fonctionnel font ici preuve de poésie, comme transcendés par leur nouvel agencement.
L’artiste remodèle les matériaux du quotidien pour en faire surgir l’incongruité et les interroger. Ce qu’elle montre n’est jamais ce que l’on voit, mais la nouvelle possibilité d’appréhender, au-delà de l’objet, les conditions de vision de ce qui les entourent.
Elle s’attache toutefois moins souligner à l’aspect charmant des choses qu’à suggérer l’omniprésence impalpable et invisible de la lumière.
L’impossibilité de voir la lumière se conjugue pour l’artiste avec une l’impossibilité de se voir soi-même.
En appliquant sur des miroirs un film à vision angulaire, l’artiste abolit la vision frontale. Face au miroir nous disparaissons. Notre image est vampirisée par la surface, notre visage n’est que brume vaporeuse. On ne distingue que ce qui est latéral : le face à face avec notre image — mais aussi avec la lumière d’où naît le reflet de notre image —, est peine perdue.
Tout est jeu de lumière. Ce que nous voyons lui incombe. Véronique Joumard s’évertue à changer chacun de nous en Meursault, antihéros de Camus qui accusa le soleil à l’heure de justifier son crime… mais fatalement personne ne voulu l’entendre ainsi.
Véronique Joumard
— Orange, 2003. Peinture thermosensible. Dimensions variables.
— Horloge, 2001. Ø 24 cm.
— Miroirs, 2003. 6 miroirs, film à vision angulaire. 180 x 60 cm chaque.
— Travelling, 2003. Diptyque : 2 photos couleur contrecollées sur aluminium. (2x) 115 x 190 cm.
— Surfaces réfléchissantes, 2002-2003. Tissu adhésif réfléchissant. Dimensions variables.
— Sans titre, 1993. Globes de verres, ampoules, fils électriques, prises, multiprises.
— TGV Video, 2002. Vidéo projection.
— table, 2003. Plateau de bois, peinture thermosensible. 80 x 120 x 3 cm, hauteurs variables.
— Sans titre, 2000? Projecteur halogène, dispositif électronique.