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Opéra Rock

Treize salles en clair-obscur et en enfilade, mais dont l’épilogue explique le sens giratoire du contenu: les carnets d’été du peintre dévoilent la collection d’images anonymes qu’il conserve et qui sont venues ou viendront hanter ses portraits. La récolte est estivale, tissée de vécu et de spectacles.
Son climat transpire à l’heure de peindre, en hiver, les plans rapprochés de visages grimés dans des toiles lissées façon cosmétique: selon Jean-Luc Blanc, «la photographie est une mise à mort et la peinture une salle de réanimation».

L’atmosphère est nocturne. A l’image du paysage lunaire de Vidya Gastaldon et ses Tétraèdres Advaita, faits de fils de laine et de baguettes de tilleul. La lumière peine à s’accrocher au noir mat des cimaises, sous lesquelles apparaissent les couleurs vives de spots dont elles étouffent la projection.
Elles rappellent les teintes du peintre mi-glamour, mi-morbides, et l’ambiance sonore latente de l’exposition. Souhaitant plonger le visiteur en une zone d’acclimatation hyper-sensible, la scénographie vous isole… au risque de verser dans l’exact opposé: chaque salle est une boîte noire où de systématiques cartels vous situent dans l’espace.
Il est si peu de ruptures de rythmes en ce flux séquencé, que la seule surprise reste l’effroi au détour de la dernière cimaise, face à une silhouette à contre-jour de David Noonan, comme issue d’un décor de théâtre expressionniste.
   
Malgré tout la vie revient, mais sourde et myope, si l’on en croit le titre Myopie crépusculaire et oreille interne. Cette rétrospective d’un nouveau genre véhicule une vision somme tout assez classique de l’artiste, qui nous aide à voir en troublant notre vue. D’où la récurrence d’œuvres et d’objets pétrifiés en forme d’énigmes.
Comme celle de la gémellité, emblématique de cette réunion d’œuvres congénères et que deux images rappellent: les chats comme siamois de Camille Vivier et la schizophrénique Ich bin der eine von uns beiden (Je suis l’une de vous deux) d’Ellen Gronemeyer.

Les artistes présentés flirtent avec l’esthétique tantôt empâtée, tantôt glossy du peintre. Au maquillage de ses toiles répond l’embaumement d’animaux naturalisés ou réinterprétés par Michel Blazy, qui observe le pourrissement de la matière. Un cabinet de curiosités qui montre à foison l’intérêt de l’artiste pour l’entre-deux, la beauté de la décomposition, les œuvres rébus.
   
Mystères qui honorent ses petites séries, proche du montage cinématographique : la flamme d’une allumette, un personnage mondain, un crâne, un mannequin aux cils ourlés, le prisme d’un kaléidoscope, un loup menaçant. Ces ensembles font naître le sentiment d’une violence latente, «borderline» dit-il.

A des figures au bord de la rupture, Jean-Luc Blanc insuffle une autre voix, qui remplace celle de la raison qu’ils sont en train de perdre. Aussi n’est-il pas étonnant que le petit format d’un homme menotté côtoie les gravures d’Odilon Redon, dont un portrait de La Folie et l’illustration de la phrase A l’horizon, l’Ange des Certitudes, et dans le ciel sombre un regard interrogateur.

C’est ce phénomène de vampirisation que l’on retiendra. Un appropriationisme qui ne va pas jusqu’à vider les images de leur signification autoritaire. Jean-Luc Blanc les respecte bien plutôt à la hauteur de leurs capacités secrètes. En place d’une entropie, mais toujours au seuil de l’existence, il propose au spectateur un délire au sens propre : «Délirer, c’est lire deux fois, pour saisir la réalité des choses dans toute leur richesse».
   
On se plaît donc à relire certaines œuvres dans le bain amniotique d’une création vive. «Opéra Rock» compose le biotope de l’artiste, sa nourriture primitive : une continuité vitale que traduit très bien la création sonore de Mr Learn. Elle hante les environs du Cheval mort articulé en toile de jute de Laurent Le Dneuff, en alternant un souffle animal et les accents d’une guitare électrique lointaine, et infiltre l’espace d’exposition au rythme d’un pouls.   

Jean-Luc Blanc
— Sans titre, 2003. Huile sur toile, 150 x 150 cm
— Sans titre, 2000. Crayons et huile sur papier; 42 x 30 cm
— Sans titre, 1998. Crayons et huile sur papier. 42 x 30 cm
— Sans titre, 2003. Huile sur toile. 80 x 65 cm