Stéphane Bouquet. D’où est venue l’idée d’Opening Night?
Mark Tompkins. J’ai rencontré Mathieu Grenier à ex.er.ce, formation du Centre chorégraphique de Montpellier. Il a rejoint la compagnie pour Black’n’blues, puis nous avons commencé à travailler sur la comédie musicale Showtime. Du coup, j’ai trouvé que ce serait bien de faire une petite forme pour mieux se connaître en jeu, et c’est là que s’est glissée l’idée du vaudeville américain.
Qu’est-ce qu’un vaudeville américain?
Mark Tompkins. C’est une succession de numéros, cirque, musique, danse, chant. Dans un vaudeville show normal, il y a entre 10 et 15 numéros qui se succèdent. On a décidé d’en faire autant sauf que chez nous, nous faisons tous les numéros. Du coup, on passe beaucoup de temps à changer de costume!
Y a t-il une sorte de fil rouge thématique qui relie vos numéros?
Mark Tompkins. Un des thèmes d’Opening Night est la rencontre entre un vieux showman et son jeune acolyte.
Au début du spectacle je joue Momma, la mère de Junior (Mathieu). Elle est, ou plutôt était, une grande vedette du Vaudeville, qui désire plus que tout que son fils suive ses traces. Mais Junior n’est pas du tout intéressé, il veut devenir pompier. Il y a donc dès le départ un conflit de générations. Ensuite, nos rôles évoluent et nous devenons de plus en plus jumeaux par la suite.
D’autres thèmes se développent autour du jeu entre la scène et les coulisses, et avec le vrai et le faux. Je trouve merveilleux, ce jeu avec la dialectique des apparences, le fait que derrière les apparences, souvent il y a seulement d’autres apparences.
Le vaudeville américain, le Minstrel Show qui était au cœur de votre spectacle précédent, Black n’Blues, il y a comme un retour d’américanité dans votre travail.
Mark Tompkins. Oui, et je ne sais pas vraiment pourquoi. C’est un retour aux sources que je trouve moi même très curieux.
En fait, je crois que tout a commencé quand j’ai voulu faire un spectacle autour du racisme. D’ailleurs, Black’n’Blues ne peut pas être joué aux États-Unis à cause de l’usage du blackface (visage maquillé en noir) qui reste encore tabou!
Je me suis rappelé un spectacle que j’avais vu quand j’avais cinq ou six ans, un Minstrel Show et qui m’avait marqué. Je venais d’une ville du Michigan où il n’y avait que des blancs. Les premiers noirs que j’ai vus, c’était en allant visiter mon grand-père à Détroit. Nous traversions les quartiers noirs en voiture et c’était très impressionnant. Quand j’avais onze ans, je distribuais des journaux à vélo et j’ai hérité de la rue dont personne ne voulait parce que les noirs y habitaient. Moi, j’aimais bien. Ça serait trop long de raconter mon apprentissage du racisme à travers ma vie aux États-Unis.
Bref, quand je me suis mis à faire des recherches, je me suis rendu compte que le Minstrel Show suivait en parallèle l’évolution des mœurs et la question du racisme aux États-Unis. Il ne concernait pas seulement les Noirs mais aussi les Irlandais et tous les groupes d’immigrants les plus pauvres qui débarquaient d’Europe. Le vaudeville a pris la suite du Minstrel Show. Il était le produit d’une deuxième vague d’immigrants, notamment des Juifs des pays de l’Est, qui ont d’ailleurs emprunté beaucoup de choses au Minstrel Show. Peu à peu, le vaudeville a abandonné le blackface et a élargi l’humour ethnique: ce n’était plus seulement des questions de blancs et de noirs.
Et Show Time, votre comédie musicale à venir, aborde aussi ces questions?
Mark Tompkins. C’est ce qu’on appelle un backstage musical, une forme de comédie musicale qui se joue beaucoup entre les coulisses et la scène. C’est l’histoire de la création d’une revue musicale qui abordera plutôt les questions de genre.
Ces trois spectacles, qui forment une sorte de trilogie, sont très ancrés dans le passé. Pourquoi ce choix?
Mark Tompkins. Travailler sur le passé, c’est travailler sur le présent. Je ne fais pas de revival, ni de reconstruction. Ce qui m’intéresse, c’est comment utiliser l’histoire comme une source, un tremplin, pour réfléchir sur le présent.
Quelle sera la musique d’Opening Night?
Mark Tompkins. Je ne voulais pas me situer à une époque précise mais que le choix soit très large : les chansons vont des années 30 jusqu’à l’année dernière, donc elles n’appartiennent pas à l’époque historique du vaudeville. Il y a une séquence, par exemple, qui commence avec une danse Soft Shoe pseudo-égyptienne. C’est un hommage à Wilson, Keppel et Betty, des vaudevillistes qui ont fait ce numéro pendant quasiment quarante ans. Ils étaient spécialistes du Soft Shoe, des claquettes sans claquette qui se dansent sur du sable. Nous la dansons sur une chanson de Beyoncé, Run the World ! Girls.
Vous jouez donc d’oppositions ou de décalages?
Mark Tompkins. On joue avec ce que j’appelle «les images complexes». Il y a plusieurs strates qui courent en même temps dans mes spectacles, strates musicales, visuelles, référentielles… Le spectateur peut choisir d’être sensible à l’une ou à l’autre. Les éléments reviennent souvent, transformés en autre chose. Un air chantonné à un moment sera vraiment chanté plus tard. Un rideau qui sert à cacher, revient pour cadrer. J’essaie de créer des spectacles qui fonctionnent comme des millefeuilles, les multiples facettes d’un cristal.
Entretien réalisé par Stéphane Bouquet (juin 2012)
Avec l’aimable collaboration du Théâtre de la Cité Internationale.
Programmation
Dans le cadre du festival Faits d’Hiver, du jeudi 24 au mardi 29 janvier
Mark Tompkins, Opening Night (création) au Théâtre de la Cité internationale à 21h (relâche le 27)