Amalia Pica
One thing after another
Les œuvres d’Amalia Pica évoquent les systèmes d’échanges, de transmission et de réception de l’information, en même temps qu’elles proposent une relecture des avant-gardes et de l’abstraction. La question de la communication, de l’énonciation et de la nature performative du langage — verbal ou non — est l’un des centres d’intérêts principaux de l’artiste, qui en explore les systèmes et fonctionnements.
Au travers de la sculpture, la photographie, l’installation, la performance ou encore de la vidéo, son travail s’attache à définir des codes communicationnels qui nous seraient communs, au-delà des barrières du langage.
En 2011, Amalia Pica présente à la 54e biennale de Venise Venn Diagrams (under the spotlight), une projection lumineuse de deux cercles colorés, qui s’inspire de la théorie des ensembles éponyme, utilisée pour définir les relations logico-mathématiques d’inclusion et d’exclusion. La référence aux diagrammes de Venn a une résonance particulière pour l’artiste dans la mesure où ceux-ci étaient bannis des programmes scolaires sous la dictature argentine (1976-1983), jugés subversifs en raison de leur potentielle capacité à initier les dynamiques de groupes et les modes de collaboration. L’œuvre met ainsi en avant la dimension politique inhérente aux échanges d’informations.
À partir de 2013, tout d’abord au Musée Tamayo de Mexico avec l’exposition «A∩ B∩ C», puis à la galerie Herald St. à Londres, la Kunsthalle de Lisbonne, au Van Abbemuseum d’Eindhoven et aujourd’hui à La Criée à Rennes, Amalia Pica rejoue les enjeux soulevés par les diagrammes de Venn.
Pour «A∩ B∩ C», l’artiste avait disposé le long des murs des formes géométriques colorées en plexiglas. Régulièrement, des performeurs venaient activer l’exposition: ils se saisissaient de ces éléments, se réunissaient au centre de l’espace, composaient une figure où les formes se combinaient, avant d’aller les reposer, puis de recommencer. Des photographies et un film ont été réalisés à partir de ces performances. C’est ce dernier qui est présenté à La Criée, au côté d’un ensemble de sculptures spécialement produites pour l’occasion.
Réalisé en collaboration avec le cinéaste mexicain Rafael Ortega, le film montre les formes au repos, puis leur activation par les gestes lents des performeurs, enfin la façon dont ces derniers les conjuguent, formant à chaque fois une «phrase» nouvelle. Comme pour tenter de démarrer au point d’ancrage (l’intersection), la double projection débute par des gros plans si rapprochés des formes géométriques que le récit semble très abstrait, puis lentement il dévoile la performance à mesure que le champ s’élargit.
Les sculptures — des structures en métal auxquelles sont suspendus les mêmes éléments géométriques en plexiglas coloré — sont des «mémoriaux» des différentes compositions faites par les performeurs dans le film. Énoncés visuels qui agissent comme les «fixateurs» du moment où les éléments se sont rencontrés, elles composent autant d’interprétations ou de récits possibles. Cette série de sculptures synthétise par ailleurs de nombreux éléments de l’histoire de la sculpture abstraite, du minimalisme au cinétisme, en passant par le constructivisme.
L’exposition d’Amalia Pica à La Criée propose un récit sans parole. Ce récit est une invitation à réfléchir à la construction, à la composition et à l’efficacité même de tout récit et de tout langage, une sémiotique plastique en somme.