Natalie Czech
One can’t have it both ways and both ways is the only way I want it
Si l’écriture est la matière première de l’artiste Natalie Czech, son leitmotiv est la répétition. Sa pratique artistique oscille entre poésie concrète et photo conceptuelle. Par son caractère reproductible et ses qualités esthétiques, la photo lui permet de traiter des mots en image et de (dé)composer une image par des mots. Pochettes de disques, ipad, kindle, lettres, magazines, journaux, etc. sont autant de vecteurs par lesquels transitent les mots et sur lesquels l’artiste révèle, par marquage, les poèmes de Robert Creeley, Allen Ginsberg ou Gertrude Stein, pour ne citer qu’eux.
La série Poems by Repetition consiste en des images d’objets souvent usuels, biens de consommation issus de notre culture populaire, achetés et photographiés par Natalie Czech, avec un léger décalage, desquels émerge un message. Ce poème contemporain, minimal mais complexe, l’artiste le fait apparaître subtilement dans la photo à partir d’un texte déjà existant. Ainsi les mots sont traités en image et les images se décomposent en mots. De la même façon qu’on découvre un calligramme, le spectateur doit voir et lire dans le même temps, sans jamais complètement englober le sens de ce qu’il observe.
Dans presque toutes les œuvres exposées un dialogue s’instaure entre l’image et le texte, entre la composition et la forme, parfois évident, parfois plus souterrain. Ainsi dans A poem by repetition by Vsevolod Nekrasov, l’artiste a photographié des écouteurs de la marque Urban Ears s’inspirant de leur campagne de publicité jouant sur une couleur uniforme caractéristique. Les deux photos sur fonds rouge reprennent le style de ces campagnes s’adressant à une cible urbaine, jeune et branchée et font se relier entre eux les fils les connectant. Le poème émergeant de ces deux images est au contraire celui d’un poète dissident russe, Vsevolod Nekrasov, et repose sur l’anti-communication propre à ce qu’il a vécu en Union Soviétique et à la lecture secrète et invisible, dans un jeu d’opposition subtil.
Dans une autre œuvre de cette série l’artiste a photographié une publicité Nike mettant en scène le portrait magnétique d’un joueur de football américain Barry Sanders. Le poème du même Vsevolod Nekrasov vient contrebalancer le discours ultra positif et marqueté de la marque, «Just do it», en introduisant une note plus pondérée venant évoquer la condition humaine à l’inverse du langage marketing habituel auquel nous sommes confrontés quotidiennement.
Natalie Czech poursuit cette déclinaison d’œuvres aussi poétiques que politiques en faisant émerger l’abstraction pure du poème depuis la machine de guerre souvent abrutissante qu’est le marketing. En entremêlant si subtilement culture populaire et poésie contemporaine, ses œuvres, à première vue presque banales, parviennent à saisir les nombreux paradoxes qui gouvernent l’espèce humaine. Dans l’idéal, attiré par le vrai, le bon et le beau, l’homme produit pourtant toujours plus d’illusions à l’esthétique frauduleuse, qu’il consomment avec une avidité aussi féroce qu’aveuglée.