Saâdane Afif
One
Saâdane Afif n’est spécialiste en rien : rencontres, dessins, sculptures, photographies, installations, sons, attitudes, slogans et textes, autant de champs exploratoires où l’artiste guette le réel, le filtre et le transpose poétiquement. «J’appartiens à une génération d’artistes qui (…) aborde l’art comme une forme de langage avec lequel on joue, qu’on déforme, qu’on transforme, sans cette recherche précise de l’objet qu’avaient nos aînés.» Et le langage de Saâdane Afif semble irréductiblement polyphonique, multipliant avec une fluidité remarquable les modes d’adresse au public et questionnant souvent le principe même de l’exposition.
C’est ce que révèle l’installation Power Chords (2005), choeur de guitares électriques où chaque instrument joue une suite d’accords déduite de la séquence chromatique d’un bâton d’André Cadere (exemple d’une pratique citationnelle récurrente chez Saâdane Afif). Ces riffs reprennent le principe des « Money chords », succession de trois ou quatre accords qui ponctuent l’histoire du rock et suffisent souvent à faire un tube. Mais par la place qu’elle laisse au silence et à la dissonance, Power Chords ruine toute efficacité mélodique et rythmique, donnant sa préférence au déploiement d’un paysage sonore mélancolique offert au spectateur-auditeur.
Lyrics (2005) poursuit cette modalité d’ouverture d’un territoire expérimental dans l’exposition : l’artiste y interroge ses expositions passées via une installation dépouillée, combinant textes de chansons imprimés aux murs, ballet de cercles lumineux projetés au sol, et scène déserte construite à partir de matériaux de récupération trouvés initialement au Palais de Tokyo. Pour l’écriture des textes, Saâdane Afif sollicite des écrivains et critiques d’art en leur demandant de «traduire» certaines de ses oeuvres en chanson, puis invite des musiciens à mettre ces textes en musique. Désirant produire un commentaire sur son travail qui dépasse le cadre critique, didactique ou journalistique, Saâdane Afif s’attache à la qualité poétique des textes produits, qui gardent par essence une forme de résistance à l’entendement direct au même titre que les oeuvres auxquelles ils se réfèrent.
L’oeuvre et le texte entretiennent alors un dialogue inédit, qui redessine les limites dans lesquelles l’artiste inscrit sa pratique, mue par une logique du débordement vers d’autres réalités (textuelles, musicales et discographiques).
Lors de la Biennale de Lyon 2007, Saâdane Afif est invité en tant que commissaire à poser son regard sur la scène artistique française durant les dix dernières années. Là encore, il s’emploie à produire des déplacements (de sens, de forme, de responsabilité) et configure une exposition-portrait en rendant hommage à Patrice Joly, fondateur et directeur de la Zoo Galerie de Nantes et de la revue critique 02. Différemment, Saâdane Afif prolonge la logique coopérative qui marque l’ensemble de son oeuvre et réaffirme son crédo : «Notre société et les structures qui la régissent, monde de l’art compris, incitent profondément au repli sur soi. Or, les idées et les formes gagnent souvent à être partagées.»