Séverine Hubard
On n’a jamais été si proche
Par les sculptures monumentales qu’elle crée, Séverine Hubard investit et façonne l’espace. Elle modifie les lieux, se les approprie, en souligne souvent les particularités architecturales. Elle utilise pour ses constructions des matériaux de récupération, du bois principalement, ou des matériaux du quotidien «qui emplissent nos habitations [comme] le mélaminé».
«Quand j’expose une pile de Formica dans Ohne Brücke keine Perspektive (2006), je suppose que chacun reconnaît la table de cuisine de sa grand-mère. J’utilise volontiers des objets ou des matériaux qui ont une identité» explique-t-elle dans un entretien avec Ami Barak. Le visiteur entre en relation avec l’œuvre par les évocations procurées par les matériaux mais aussi par la transformation effectuée dans le lieu qui provoque une perte de repères et d’habitude.
Pour son exposition au Frac Basse-Normandie, Séverine Hubard, dans un geste fort, a choisi d’ouvrir portes et fenêtres. Au rez-de-chaussée, Zigzag, œuvre in situ, déborde sur l’extérieur, liant l’espace d’exposition au dehors et donnant au visiteur le loisir de rencontrer l’œuvre avant même d’entrer dans le Frac. La circulation est transformée par l’installation proposée par l’artiste: les fenêtres deviennent des entrées et sorties possibles et la salle d’exposition n’est praticable que sur le chemin formé par Zigzag. Le visiteur déambule sur une structure légèrement surélevée qui lui révèle l’architecture de la salle et lui donne une autre vision de ce qui l’entoure.
À l’étage, trois fenêtres obturées lors de la plupart des accrochages antérieurs sont rouvertes par l’artiste et des rambardes leur sont ajoutées amorçant ainsi un dialogue avec les nouvelles habitations avoisinantes. Le «white cube» habituel des expositions disparaît, le lieu s’ouvre à l’extérieur et la lumière naturelle envahit la salle.
Dans la ville de Caen, Séverine Hubard a repéré les lignes et les formes «discontinues» de la fontaine en béton, aujourd’hui inactive, de l’artiste sculpteur Gérard Mannoni au sein de la place de la République qu’il a modelée dans les années 1970. Intriguée et conquise, elle en propose ici une maquette à échelle 1/2. Elle en reprend formes et volumes en grandes planches, plateaux de table en formica, armoires laquées puisés dans les stocks d’Emmaüs. Ces différents modules assemblés tel un jeu de construction, forment entre eux une nouvelle sculpture, à la fois réactivation de la fontaine abandonnée et patchwork de couleurs données par le mobilier récupéré.
Séverine Hubard, par son appréhension des espaces, et des formes qui activent des passages et des liens entre le Frac et la ville, entre passé et présent, ancien et nouveau, intègre à son œuvre différentes histoires qui l’inscrivent dans la complexité de la réalité et en font la véritable singularité.
Au-delà , l’exposition peut se lire comme une métaphore du devenir du Frac dans la ville et son déménagement en son cœur en 2016.