Communiqué de presse
Jocelyn Cottencin, Bertrand Pincemin
On leaves
Nous poursuivons à Dma notre réflexion sur le rapport designer-artisan-artiste avec Jocelyn Cottencin et Bertrand Pincemin. Ou plutôt qu’une réflexion qui aurait pour objet seulement de les distinguer, nous engageons avec eux les actions qui au contraire les confondent.
La rencontre même entre les deux ne peut se faire absolument dans un projet concerté où l’on qualifierait l’un et l’autre selon les convenances. Il reste la part irréductible de l’instant même de la rencontre où les compétences s’échangent. En ce sens la collaboration est autant une expérience qu’un projet.
Ce qui opposerait a priori l’artiste et le designer, c’est que l’un produirait une image et l’autre une chose, si l’on se réfère par exemple à la thèse de Platon sur la peinture et l’artisanat dans La République. Mais dans quelle mesure l’artiste ne produit-il pas une chose? Dans quelle mesure le designer ne nous fournit-il pas une image?
Nous savons depuis Hegel que l’éminence d’une oeuvre, fut-elle immatérielle, ne la condamne pas à n’être qu’une image; et que, par ailleurs, les produits des designers, comme l’ont montré les sémiologues et les sociologues (à l’instar de Barthes et Bourdieu), sont autant, sinon plus, des signes que des objets.
Les artistes et les designers -appelons les désormais de façon générique les créateurs- ne travaillent pas uniquement la matière mais aussi le mouvement et l’énergie. Dire avec Bertrand Pincemin qu’il n’y a pas des matières mais une matière et ses états, c’est, selon moi, renouer gaiement avec l’ontologie. La matière prend différents états (les matériaux). Mais qu’est-elle en elle-même ? Elle est mouvement.
Réduire autrement la matière aux matériaux revient à réduire son Être à l’étant. Une oeuvre, bien qu’elle apparaisse comme un objet, exprime toujours un mouvement, de l’élan vital à la plus infime vibration. De même le design, de par sa valeur d’usage, prévoit le mouvement des choses et des hommes par rapports aux choses.
L’art articule la vie publique dans les galeries, les musées, les salles de spectacle et le design nous accompagne dans l’espace privé. Lorsque le design s’expose ou s’inscrit dans la ville et lorsque les oeuvres entrent dans les maisons, ce rapport s’inverse. Or nous pouvons dire aussi que ce sont ces productions qui créent à leur tour ces espaces.
Le mouvement, pour les épicuriens, suppose un vide pour que les choses s’assemblent et se séparent. Mais le mouvement même fait surgir l’espace et le plaisir. S’il y a plaisir à l’art et au design, c’est bien entendu par l’espace dans lequel ils se situent avec nous. Plus exactement l’espace est justement le plaisir d’un rapport entre les choses, leurs simulacres et nous.
Pour ce qui est du temps, il semble que le design suive les modes, l’évolution des hommes, quand l’art au contraire pose des jalons dans l’histoire. Mais il y a bien des choses restées prises dans l’histoire comme des oeuvres, et des oeuvres momentanément captives de la mode. C’est sans doute que la différence entre l’œuvre et la chose nécessite la médiation du temps. Ce temps, c’est la sédimentation même, les feuilles qui autour de nous se déposent.
Les coussins en forme de lettres de Jocelyn Cottencin sont des choses et en même temps des signes. Mais ces signes n’apparaissent qu’en tant que signifiants vides, sans aucun sens. Ces signifiants purs voilent tout signifié possible pour imposer leur forme, avec une force telle que l’on peut s’asseoir dessus. Quant à la tapisserie-poster de Jocelyn Cottencin, elle est la feuille qui offre un faux réel.
C’est un signe qui dénote seulement et reste à peu près vide de sens parce que totalement univoque. Il signifie un décloisonnement fictif vers un paysage. Ici la photographie est plus une fenêtre qu’autre chose. La feuille de papier y est aussi mince qu’une paroi de verre.
La multiplication des miroirs de Bertrand Pincemin, comme celle des horloges pour le temps, transforme les murs en instruments réflexifs. En un sens le miroir est le contrôle de l’espace réel, alors que le poster était l’évasion de cet espace. La multiplication des miroirs, si elle ouvre l’espace, l’enferme dans le regard. L’inquiétante étrangeté du miroir s’impose alors par le fait que nous sommes et ne sommes pas son reflet.
Les formes modulaires de Bertrand Pincemin renvoient à une unité originelle. Chaque essence se déploie pour donner lieu à une infinité d’aspects. Le modulable élève à la puissance cette variété. En dépit de son origine fonctionnelle, il tend vers le chaos, l’éclatement, comme ces rallonges ou ces tiroirs qui s’effeuillent de leur support et manquent de vous broyer le pied. Reste le cube, qui est un tas de feuilles sagement disposées mais qui ont de quoi inquiéter. Elles cachent, enferment, créent du vide. En ceci la boite, avec ses feuilles calcifiées, est toujours l’horizon d’une disparition.