Communiqué de presse
Robin Kirsten
On Fear and Reason
«De quelle façon l’art, cette occupation de toutes la plus innocente, peut-il mesurer l’homme à la Terreur ?»
C’est cette question posée par le philosophe Giorgio Agamben en introduction de son essai Frenhofer et son double publié dans L’homme sans contenu en 1996 qui motive la recherche de l’artiste Robin Kirsten. Pour Agamben, la théorie engendre un déplacement de l’œuvre au delà de ses frontières traditionnelles. Le cheminement intellectuel de Frenhofer aboutit à des signes qui paraissent vides de sens aux yeux du spectateur. La Terreur mesure la distance qui sépare le vécu de l’art du créateur de celui du regardeur.
La théorie construit, déconstruit et reconstruit constamment le sujet. Ce faisant, elle définit le monde vécu et la réalité comme un objet. Le paradoxe de cette transformation du sujet en objet est symptomatique du pouvoir qu’exerce la pensée sur la chair de l’humanité : elle détermine l’individu (politique, économique et culturel). Robin Kirsten s’attache à mettre en évidence l’emprisonnement de l’individu dans la formation abstraite de la réalité où l’objet peut être échangé avec le sujet. Il compose alors avec les différentes réalités offertes à l’individu et s’interroge sur la représentation du déplacement opéré en cherchant à trouver un chemin viable vers un sujet hétérogène et non-définissable.
Dans son exposition «On Fear and Reason», Robin Kirsten nous présente le portrait d’un individu (l’homme théorique et sans contenu) comme un possible multiple et fracturé qui occupe l’ensemble de l’espace. L’artiste crée son propre espace de démonstration en suivant les traces du «Cabinet Abstrait» de 1927 de El Lissitzky qui constituait une nouvelle sorte de grammaire visuelle reliant la bi-dimensionalité de la toile à la tri-dimensionalité de l’architecture.
Sur les murs, une série de peintures de petit format regardent le visiteur. Chacune d’entre elles est composée de lignes noires se coupant de manière à former des triangles peints de différentes couleurs. Chaque toile est entièrement recouverte de couleurs amassées, mais dans un creux, un œil se détache. La figuration d’un visage émerge alors du tableau à l’allure abstraite. Le processus d’abstraction n’a pas abouti ou a été malicieusement perverti.
L’espace est éclaté par une sculpture faite de parties de chevalets connectées ensembles pour former le cadre d’un espace architectural dans lequel le visiteur navigue. Cette sculpture cadrante opère comme un outil/miroir reflétant la composition primaire des peintures. Le regardeur pénétrant dans cette structure est invité à explorer un espace abstrait. Ce chevalet a subi plusieurs opérations qui renvoient à la dimension performative de la fabrication de l’œuvre d’art. Des bouts ont été fixés ensemble, des objets attachés aux sections de bois, des trous percés dans des lignes. Une tension s’exerce entre le dépliement organique de la forme et sa présentation calculée, logique et théorique.
L’œuvre ici présente fait aussi un clin d’œil au principe d’équivalence (le bien fait, mal fait, pas fait) cher à Robert Filliou. Le chevalet (bien fait, mal fait, pas fait) use de l’humour pour faire participer le spectateur. Cet appareillage déployé dans l’espace se présente comme une excroissance de l’abstraction.