L’installation Heaven & Earth (2007) est constituée d’un bassin d’encre noire dans un parallélépipède de carrelage blanc, lui-même construit sur un sol de carrelages blancs, brisé par endroits, comme après une secousse tellurique ou une pluie de météorites.
Des taches de couleurs rouges et vertes, telles des hématomes parsèment la surface blanche quadrillée. Le bassin d’encre noir au centre, est bordé d’une rangée de petites montagnes en résine d’un blanc immaculé.
Cette sculpture aux airs de maquette réussit à englober et à inclure le spectateur qui peut marcher sur le socle blanc et accéder à cette bouche noire et blanche. Au coeur de ce paysage dévasté et artificiel, mi-salle de bain, mi-désert blanc, le lac noir et dormant reflète le ciel et le plafond de l’espace. Les échelles se superposent, celle de la maquette et du paysage, faisant du spectateur un géant et un lilliputien. Le jeu du reflet et des impacts crée une dynamique entre surface plane et verticalité, reliant ainsi le paradis et la terre du titre en nous plaçant entre les deux et en annulant ainsi leur antagonisme classique.
Plus loin, une tour-sculpture-maquette opère la fusion entre le projet de Monument à la Troisième Internationnale de Tatlin (1919) et la dentelle d’acier de Gustave Eiffel. Des textes en néons à diodes clignotent et brouillent la lisibilité de la structure. Leur lecture est elle-même rendue difficile car certaines lettres et diodes sont volontairement éteintes, noircies, alors que leur lumière blanche et mauve allumée en plein jour, n’aide pas plus la lecture de ces messages codés.
Une autre sculpture, Bunker (M. Bakhtin), rend hommage au théoricien russe sous la forme d’une caverne pénétrable et sonorisée. Noire, en fibre de verre, elle se présente avec d’un coté une structure à facettes 3-D comme on en voit beaucoup dans l’art contemporain ces derniers temps et de l’autre imite parfaitement une paroi rocheuse. Cette structure de camouflage est autant un pur artifice qu’une illusion hyper réaliste.
Mais la pièce la plus fascinante reste une maquette d’un paysage impossible. Excavation (2007) est composée d’un plateau vallonné de mini facettes argentées sur lequel se développent des lacets autoroutiers en plastique blanc, montant vers un mur de montagne, qui, une fois passé de l’autre coté, figure une façade troglodyte percée de fenêtres.
Le tout recouvert d’un océan de perruques noires duquel émerge une tour de château fort ! Complexe, changeant d’imaginaire à chaque pas qu’effectue le spectateur, cette sculpture nous plonge en pleine fiction d’espace (projet futuriste du passé ?) et en pleine fiction d’objet : jouet ? Sphinx surréaliste kitsch ? Projet décoratif pour le jardin de la villa d’un milliardaire fantasque ?
Ses sculptures figurent un état suspendu de projets utopiques, entre vision onirique, maquettes architecturales ou décor de film de série B. Leur échelle, la variété et la séduction facile des matériaux, leur statut d’oeuvre d’art permettent de préserver toutes leurs identités possibles. Il est possible de se rêver en commanditaire de telles constructions mais on peut aussi bien s’imaginer en train de jouer au Playmobil dedans.
Tout le sol de toute l’exposition a été recouvert d’un dallage de plaques d’aluminium réfléchissantes. Au-dessus de nos têtes, des lustres biomorphiques sont suspendus à intervalle régulier. Ses structures flottantes (Sternbau/Construction-étoile) et leur reflet au sol plongent le spectateur dans un espace fictionnel où les identités et les fonctions sont suspendues.
Exposée au Consortium et au MAC de Marseille en 2002, à la Biennale de Venise en 1999, aux états-Unis, en Asie et en Europe, Lee Bul est surtout célèbre pour ses monstres et cyborgs. Elle ré-oriente ici son travail, vers l’architecture et une abstraction synthétique et surréalisante qui évoquera les oeuvres de contemporains tels que David Altmedj, Sarah Sze ou Tatiana Trouvé : à la fois figuratifs et oniriques, raffinés et absurdes, spectaculaires et secrets.Â
Lee Bul
— Sternbau 4, 2007. Perles en cristal, verre et acrylique sur fil de nickel-chrome, armature en acier inoxydable et aluminium. 131 x 71 cm
— Autopoieisis, 2007. Perles en cristal de nickel-chrome et d’acier inoxydable.
— Aubade , 2007. Structure en aluminium, diodes LED, câblage électrique, perles en cristal et verre et acrylique. Environ 400 cm de hauteur 300 cm de diametre.
— Bunker, 2007. Fibre de verre sur armature en acier inoxydable, contre-plaqué, équipement électronique, dispositif sonore intéractif. 300 x 400 x 280 cm.Â