La rue du Chevaleret ne lui permettait plus d’étendre ses activités. C’est donc au cœur du Marais, rue de Saintonge, qu’Almine Rech redéploie sa base, dans un écrin enfin à sa mesure.
Le lieu d’exposition se tient sur deux niveaux, et est assez compliqué à occuper puisqu’il ne dispose pas de véritable plateau. Vaste, il est approprié à la variété des médiums (notamment pour isoler des installations vidéos).
Au rez-de-chaussée, l’artiste suisse Ugo Rondinone place sur des socles-palettes des sculptures blanches à l’aspect brut et aux rondeurs massives. Elles évoquent tout autant l’élément organique que la placidité de la machine industrielle. Plus subtilement, dans leur épaisseur, dans le silence qu’elles imposent, on les imagine voisinant avec l’héritage minimaliste ou avec la corporalité des peintres modernistes américains (on pense par exemple aux formes-signes de Motherwell). C’est une sculpture abstraite, virile et érotique par essence, qui refuse d’entrer dans la séduction de l’objet pour s’emparer de l’espace et mieux affronter sa monumentalité. Rondinone est coutumier du fait: on se souvient de l’immense sculpture en «X» (Lessness) qui barrait l’espace de la galerie Almine Rech en 2003.
Affronter la monumentalité de l’espace, c’est aussi rompre avec les valeurs d’échelle. A côté des sculptures, Rondinone place une vaste série de petites toiles blanches servant le tracé de paysages urbains, architectures enchevêtrées et centres-villes condensés sous les toits: encore une fois, la monumentalité trompée, le large volume de la ville, l’extension tentaculaire du bâti ici réduit à la portion congrue d’une toile minuscule, réduit à la vision depuis une simple fenêtre. Un panorama au degré zéro de l’envergure dont on retrouve les signes dans des toiles de la même série mettant en scène des intérieurs étriqués d’appartements. Dans les deux cas, l’ordonnancement impeccable de l’architecture ne fait pas oublier la disparition de l’humain et l’absence manifeste de toute respiration.
Rondinone nous fait glisser dans cette ville-fantôme puis nous fait poursuivre cette promenade mélancolique jusqu’aux salles de l’étage. Un arbre blanc desséché déploie ses branches avec détermination, comme la Mort pourrait lancer sa faux (When The Water Went South for The Winter It Carried Us Down Like Storm Driven Gulls, 2003): une nature en fin de cycle dans un cadre volontairement lunaire qui pourrait s’apparenter au décor de la post-humanité. Près de l’arbre, une immense ampoule bleue éclaire le même vide et embrasse le même silence (The Second Hour of The Poem, 2005).
Dans l’autre pièce, une immense peinture ronde et hypnotique d’une série déjà éprouvée ailleurs, DREIUNDZWANZIGSTERJANUARZWEITAUSENDUNDFUENF (2005), crée des volumes par le seul jeu des couleurs disposées sur la surface. Elle nous renvoie à cet espace mental que décrit Rondinone avec toujours plus d’acuité, à la fois rongé par la mélancolie, déformé par l’ampleur de la solitude et grisé par le retrait du monde, la fragilité de l’être face à son environnement immédiat.
L’exposition fonctionne comme un voyage immobile dans l’introspection de nos doutes, comme un été indien parisien rattrapé brutalement par l’automne.
Cette exposition participe au programme « Rendez-vous dans les galeries », une initiative de «Francofffonies ! le festival francophone en France».
English translation : Laura Hunt
Traducciòn española : Santiago Borja
Ugo Rondinone
— 23. March 2006, 2006. Mousse, tuyau en métal, plâtre, socle en bois brut, émail. Sculpture : 161x 67.5 x 67 cm, socle : 15 x 120 x 120 cm.
— 3. Juni 2006, 2006. Acrylique sur lin. Diam. : 220 cm.
— Monday, July 17, 2006, 2006. Collage et graphite sur lin. 18 x 24,5 cm.
— The Eleventh Hour of the Poem, 2006. Cire, pigments. 140 x 82 x 82 cm.
— Friday, August 4, 2006, 2006. Collage et graphite sur lin. 20 x 30 cm.
— Out of Reach Until It’s Magic We Are Crossing Our Own Stony Ocean, 2003. Résine semi transparente. 307 x 277 x 247 cm.