Le travail d’Omer Fast, dont on avait découvert en 2006 chez gb agency la vidéo Dogville, consacrée au thème du brouillage des identités et des temporalités, est ancré dans le réel, mais un réel décalé, dont la perception est sans cesse remise en question. L’œuvre de cet Israélien né à Jérusalem, ayant fait ses classes à Boston et New York, et vivant aujourd’hui à Berlin, traduit la distance entre les cultures et le rôle du langage dans l’assimilation des histoires individuelles à l’Histoire collective.
Dans De Grote Boodschap (Le Grand Message, 2007), unique pièce visible dans la galerie, la réalité est tenue à distance par un processus narratif complexe, où les fictions personnelles se mêlent.
Tournée à Mechelen en Belgique avec des acteurs flamands, l’œuvre, d’une durée de vingt-sept minutes, est présentée en boucle. Sans introduction ni conclusion déterminées, le film s’expérimente comme un ruban sans fin. Aussi la narration est-elle appréhendée différemment par chaque spectateur, selon le moment auquel il arrive devant l’écran, à la manière des séries télévisées que l’on prend en cours, mais dont on parvient toujours à reconstituer la trame.
La typologie télévisuelle a également inspiré à Omer Fast la mise en scène frontale, les décors quotidiens coupés dans leur largeur à la manière de la boîte théâtrale, et les dialogues proches de ceux des soap operas américains.
Trois pièces d’appartements contigus sont successivement filmés dans un travelling latéral. Dans chaque espace, des personnages entament un dialogue, chacun des six personnages étant lié à un autre, d’une manière ou d’une autre. L’écriture précise des dialogues entame un jeu complexe sur le langage. A partir de la sérialité de la mise en forme se développe un cycle de causes et de conséquences des événements, difficile à reconstituer.
Au cœur de la narration, dans l’appartement situé entre les deux autres, une vieille dame évoque l’histoire familiale, mais ne trouve pas d’oreille attentive : une jeune fille de compagnie, petite amie de son petit-fils, vient constater son lent départ vers la folie ; suit une scène entre la jeune femme et son compagnon, où l’on apprend que la grand-mère est morte, et qu’il faut louer son appartement ; retour dans celui-ci où le jeune homme fait visiter l’appartement à un homme d’origine arabe ; puis, on bascule dans la cuisine d’un jeune couple en proie à la paranoïa. Ceux-ci paraissent versés dans l’éternité puisque leur conversation sur le travail, semble sans fin, sans causes ni conséquences. Ce déroulement narratif est subjectif, comme le seront tous les autres. La vérité n’est nulle part, elle se cache entre les mots des protagonistes.
Omer Fast aborde ainsi l’expérience d’une narration noyée dans les histoires individuelles, où le spectateur, dont les repères sont volontairement brouillés, est amené à reconstituer lui-même les interstices de la mémoire.
Omer Fast
— De Grote Boodschap, 2007, vidéo HD, 27’.