Martin Kersels
Olympus
Au début des années 1990, Martin Kersels expérimente son corps. Actif dans le domaine performatif, au sein du collectif SHRIMPS (avec Pam Casey, Gail Gonzalez, Steven Nagler, Ryan Hill et Weba Garretson), il effectue une série de gestes simples et familiers: porter, jeter, tomber, embrasser, cadencer, basculer. Des performances oscillant entre radicalité et absurdité, qu’il restitue au moyen de la photographie. Parallèlement, il développe un travail en volume guidé par le mouvement.
Inspiré par les objets et les gestuelles inhérents au quotidien, Martin Kersels fabrique non seulement des espaces scéniques où le corps et la machine interagissent, mais aussi des sculptures animées produisant des actions et des sons incongrus. La dimension loufoque de son œuvre n’est qu’une simple apparence, son travail plastique étant nourri d’une réflexion conceptuelle et critique basée sur nos rapports au monde et à la société. Ainsi, la continuelle discussion entre le corps, l’espace et l’objet fait partie intégrante de sa pratique.
Pour cette exposition, Martin Kersels met en question le mythe de l’Olympe. Paradis des dieux, protégé des hommes, l’Olympe symbolise la perfection (des corps et des esprits), le bonheur absolu, la joie de vivre, l’insouciance et l’abondance. Pourtant, à la lecture de L’Odyssée d’Homère, l’artiste note que les dieux, comme les hommes, ne sont pas à l’abri de la laideur, des vices et de la médiocrité. Ils ressemblaient à des dieux, mais agissaient comme des humains. Selon les critères occidentaux de l’esthétique et de l’éthique, l’extérieur ne correspondait pas à l’intérieur. Un écart se crée entre le dehors et le dedans, l’apparence (ce que nous sommes censés représenter) et l’essence (ce que nous sommes réellement).
Une vision dichotomique que l’artiste applique aux objets en interrogeant les rapports entre le produit et son mode de fabrication, entre la surface et la matérialité, entre la forme et la fonction. L’exposition, dans sa forme, est elle-même bousculée: Olympus (2014) met en mouvement l’espace de l’exposition qui devient mobile et imprévisible. Une dynamique synergique est à l’œuvre, puisqu’une structure amovible transforme et régénère les formes, tandis que la circulation du regardeur participe à la déroute.
Au cœur d’une surprenante scénographie sont abritées des œuvres bricolées dont les matériaux proviennent du quotidien. Altérés, agglutinés, associés, ils tendent vers l’abstraction. Jouant sur les apparences trompeuses, les sculptures soulignent la notion de passage, d’un état à un autre, du familier à l’étrange. La perte de contrôle, de repères et le glissement amènent le regardeur à repenser les mythes, les normes, les objets qui constituent son propre environnement.
En explorant la dimension à la fois pathétique et absurde de notre société, Martin Kersels produit un espace critique où l’insoumission, la joie, l’incohérence et la dérision ouvrent les portes d’une libération possible.
Julie Crenn