— Éditeurs : Musée de l’Objet, Blois / Galerie Loevenbruck, Paris
— Année : 2002
— Format : 24 x 19 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : non paginé
— Langue : français
— ISBN : 2-9515789-1-1
— Prix : 20 €
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Les Quasi-objets
par Olivier Blanckart (extrait)
Au début des années quatre-vingt-dix, j’ai commencé à réaliser des performances en SDF, à faire des tracts, à chanter, à me jouer en d’autres personnages, je me suis rapidement aperçu que les moyens techniques que j’utilise pour ces actions relevaient d’une culture socio-historique universelle et que les objets recyclés que j’utilisais : carton, scotch, papier kraft d’emballage, tout comme les canettes en aluminium, les baskets ou les jeans étaient les nouveaux symboles d’une culture universelle, traversant toutes les catégories et les activités sociales, horizontalement et verticalement.
Ainsi sont nés les quasi-objets. Initialement réalisés comme « pièces d’atelier » (ces objets qu’on bricole à temps perdu, mais qu’on n’intègre pas nécessairement dans son œuvre, bien qu’on vive avec), il m’est apparu que ces objets étaient riches de potentialités intrinsèques et extrinsèques. Premier avantage, leurs matériaux constitutifs étaient disponibles, légers, peu chers voire gratuits, faciles à travailler et rapides à mettre en œuvre. Leur nom générique de quasi-objets tient à leur statut ambivalent: le plat découpage de la forme d’une feuille d’arbre dans le papier kraft en fait presque un dessin. Les gants de boxe, la selle de cheval, les canettes de bières, pourraient quasiment servir à l’usage que leur forme suggère. Les bouteilles de scotch, l’accordéon, la tronçonneuse sont de strictes sculptures. De même, la nature de l’activité que je déploie pour les fabriquer est susceptible d’affectations multiples : activité d’artisanat ? passe temps ? activité artistique ?
La réponse dépend à la fois de mes propres sentiments personnels à un moment donné et des contextes variables dans lesquels ces pièces sont produites ou montrées. Suivant qu’elles sont réalisées en public ou non, et suivant qu’elles sont vues dans un contexte artistique ou non, des pièces parfois similaires peuvent donc être perçues différemment par les spectateurs. Par exemple, « The Remix », le groupe de personnages réalisés en scotch blanc réinterprétant les Village People a été montré aux Bains le 1er avril 1997 pour une fête; cette installation s’intercalait à la marge de l’événement, ce qui est assez caractéristique de mon travail. Pour la majorité, ma pièce est donc passée pour un classique décor de boîte de nuit, seule une partie du public présent a reconnu dans cette œuvre une installation d’artiste, et seule la sensibilité d’une minorité encore plus infime, lui a permis d’y voir une pièce « post-aids » et « post-Pop ». La pertinence des quasi-objets tient à ce qu’ils constituent un ensemble d’images réinterprétées. Ce n’est pas leur puissance d’objet qui leur confère leur réalisme — ils sont dérisoires —, c’est leur capacité à être de fortes images qui en fait des objets redoutablement efficaces. Il suffit par exemple de s’être promené en ville avec une minable Kalachnikov de carton en bandoulière, ou d’avoir présidé à la crémation d’un bonze en scotch au carrefour d’une rue de Paris pour s’en convaincre.
Il était donc tentant, à un certain moment, de passer de la réalisation d’objets-images à la ré-interprétation d’images objets. C’est-à -dire des emblèmes. On n’a pas assez relevé à quel point le collage est le véritable paradigme à la fois de la modernité et du siècle écoulé.
Le temps n’est plus au modernisme, à la rupture, à la prophétie visionnaire. Pas plus qu’au détournement situationniste, à la description décalée et ambiguë du Pop art ou au pastiche postmoderne. La dynamique contemporaine est autant bilan que création permanente par la mise en perspective et le ré-agencement infini des signes, permise par les outils modernes de la techno-culture de masse. La Junk culture. High et low.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de la galerie Loevenbruck)