Communiqué de presse
Kyle Field
Old Free Spirits
«Quand je serai de retour, je vais travailler sans relâche pour terminer autant de dessins que je peux, je pense que ce sera l’exposition…»
Le texte se construira à partir de ces simples indications reçues de Kyle Field; écrire sur une prochaine exposition sans avoir vu les oeuvres ou plus que jamais écrire avant… transformer alors cette interrogation en méthode pour un texte… dans le même mail Kyle Field écrit qu’il travaille sur des Crystals et je pense que l’on peut commencer par regarder attentivement certains détails des derniers dessins vus à Paris.
Il y a depuis toujours dans cette oeuvre une approche ou si l’on préfère des aspects liés à une forme d’abstraction, cet hiver devant un collage de son ami Eric Bluhm Untitled évoquant une forme de diamant, devant ce collage d’une multitude de papiers découpés Kyle Field nous disait son admiration de tous ces noirs différents (1). Et puis, il y a bien sûr à chercher comme toujours dans l’art Américain du côté de l’Underground, cette fois nous choisirons entre mille la grande épopée autour de la Ferus Gallery: Jay DeFeo dont nous regardons The Jewel peinte en 1958, le fond est sombre pour mieux faire éclater la structure de toutes les facettes des branches du diamant (2). Toujours de Jay DeFeo: The Eyes, dessin au crayon dont nous connaissons la taille car il y a cette photo où elle pose, torse nu, juste entre les deux yeux dessinés, pour l’objectif de Wallace Berman. Chez Kyle Field, il y a parmi toutes les pépites à découvrir quelque part dans le dessin extrêmement fouillé, ainsi dans “Unicornia”, là aussi les deux yeux de la panthère qui nous regardent ou encore dans ce dessin de 2006 “Sea captain’s sisters”, là sur la gauche, dans cette construction qui évoque une cascade, cette fois deux traces à l’encre noire, plutôt comme deux taches.
«Je suis en Angleterre, donnant quelques concerts avant de retourner et continuer à travailler pour l’exposition.» Auparavant, Kyle Field a dessiné pour une planche de skate Small town nut et enregistré sous le nom de son groupe Little Wings un non moins magnifique album “ Soft powr” (3), là aussi dans un climat doux et mélodique, on croit reconnaître, avoir déjà entendu cette chanson, un peu comme avoir déjà vu ce dessin, et ce mot écrit n’est-ce pas aussi le titre d’une chanson? Mais non c’est encore une autre pépite. Il n’y a pas mieux que la plume de Nick Tosches pour décrire cette sensation: «Autant dire que c’est un chemin dont l’origine n’est pas même connue de ceux qui l’ont emprunté, de ceux qui ont entretenu sa flamme et modelé ses métamorphoses; ce n’est pas tant l’itinéraire d’un mythe, d’une légende ou d’une chanson que celui d’une matière obsédante et envoûtante qui a parcouru le millénaire tel un souffle.» (4) Mais parlons nous de la musique ou des dessins?
«Une focalisation plus serrée que par le passé avec de très petits visages, caractères ou personnages à moins que les choses ne changent avant la fin de la préparation de l’exposition mais mon projet, pour l’instant, c’est d’explorer ce processus plutôt intensif d’expérimentation qui consiste à faire ces grandes zones de lignes, qui bouleverse un peu mon esprit, et à faire ces dessins d’une façon presque répétitive.»
Devant Be feeled (2006) nous sommes hypnotisés par toutes ces zones, encore de plus près: aucune n’est faite ou traitée de la même façon. Là, la plume ou le pinceau se sont laissés glisser sur le papier, ici ils ont caressé. Il y a un patchwork de motifs abstraits: lignes, hachures, pointillés, quadrillages étalés sur une surface qui prend parfois une forme identifiable comme des cascades, montagnes, volcans, visages, yeux mais aussi comme des routes ou des parcelles vues d’avion. Aucune forme ne l’emporte sur une autre, c’est une découverte sans fin. En 1921, Paul Klee peint déjà une petite aquarelle Gradation de cristal, deux ans plus tard c’est le célèbre Étrange Jardin, le regard est captivé par ce foisonnement de végétaux, animaux, visages… qui parfois se mêlent. L’oeuvre est réalisée à l’aquarelle mais on ne sait plus s’il faut parler de pinceau ou de plume et quelle liberté dans ces réseaux graphiques qui peuvent suivre, épouser ou contredire le contour!
«Vas-y à présent, et essaie de conclure» (5). Il y a chez Kyle Field cette réelle attitude insaisissable de l’artiste, retenu et incontrôlable, jamais là où on l’attend… l’an passé juste avant son concert parisien, il avait souligné l’importance de l’improvisation musicale, être prêt à expérimenter, prendre des risques mais aussi rester ouvert et disponible aux richesses de ces instants. Dans le même temps, il commençait à dessiner au verso, ensuite sur des feuilles pliées en accordéon puis en reflet avec des axes de symétrie. La communauté scientifique a récemment été troublée par la publication d’un jeune chercheur Américain Anthony Garrett Lisi qui développe une théorie réconciliant sous les mêmes équations les quatre forces fondamentales de la nature, rendant compatibles les deux théories de la mécanique quantique et de la relativité universelle. L’homme de sciences vit volontairement à l’écart des grands laboratoires de recherche: «J’ai obtenu mon doctorat il y a 10 ans et j’ai quitté le monde académique pour travailler à mes propres idées sur la physique et surfer à Maui. J’ai travaillé pour gagner ma vie, aussi peu que possible, vouant la plupart de mon temps aux équations et profitant du plein air» (6). Kyle Field, lui aussi et à sa manière, nous offre à travers son oeuvre une perception du monde et un rapport au monde qui renvoient au magnifique titre de la publication scientifique: «Une théorie du tout exceptionnellement simple». Nous sommes devant ses dessins le soir du vernissage, dehors il fait nuit, les visiteurs poussent la porte de verre de la galerie, descendent les quelques marches et découvrent cet univers, nous regardons et nous penchons, visage presque contre l’oeuvre… lui est probablement quelque part sur sa planche dans l’océan mais pas si loin de nous: «Ainsi cela fait sens pour moi de rester à la maison et de laisser arriver l’exposition comme un fantôme».
Yves Brochard.
(1) What Glue Do You Use ? Atelier Cardenas-Bellanger, Paris 2007.
(2) Secret Exhibition, six california artists of the cold war era city lights book, San Francisco 1990.
(3) Les deux chez marriagerecs.com.
(4) Nick Tosches Country, Éditions Allia, Paris 2000.
(5) Tosches, op. cit.
(6) “Le Monde” 19/11/2007 Anthony Garrett Lisi: “La théorie est mathématiquement et esthétiquement superbe”.
critique
Old Free Spirits