L’exposition Offshore de Philippe Durand au Centre photographique d’Ile-de-France prend pour sujet les paradis fiscaux des îles Caraïbes. Une vingtaine de photographies et une vidéo accumulent les indices de la finance cachée et du tourisme de luxe. Mais, pour reprendre la formule de l’artiste, ces indices sont «faibles» et la banalité des motifs est confortée par un style distancié et neutre.
Â
Les images les plus explicites montrent des enseignes de banques et des voiturettes de golf. Les autres laissent le visiteur indécis. Que veulent dire ces nuages, et cette voiture rouge abandonnée, et ces parpaings, et ce pare-soleil aux motifs colorés ? On hésite à y chercher des symboles de quoi que ce soit, tant les travaux antérieurs de l’artiste ne nous y ont pas invités.
Philippe Durand n’offre ainsi pas une documentation approfondie et organisée des paradis fiscaux.
Â
Il donne plutôt l’impression de glaner des images au hasard de déambulations et de s’étonner à chaque fois de ce qu’il découvre. Sa pratique est poétique. Elle n’est pas politique. L’artiste ne prend pas parti et cherche encore moins à dénoncer une situation. Il ne s’en donne pas les moyens. Il refuse le systématisme, la rigueur et l’engagement du nouveau documentaire social d’Allan Sekula. Ainsi, les inégalités sociales, pourtant réelles, ne retiennent pas vraiment l’attention de Philippe Durand. S’il traite de la pauvreté, c’est sous la forme plutôt pittoresque et anecdotique d’un container transformé en habitation.
Â
Alors pourquoi s’intéresser aux paradis fiscaux? Sans doute parce que cette économie particulièrement invisible nourrit la réflexion de l’artiste sur la photographie.
Dans la tradition de la photographie conceptuelle, Philippe Durand utilise son sujet comme un prétexte pour interroger la photographie comme medium d’information et de communication. A cet égard, il semble reprendre à son compte la réflexion de Brecht citée par Benjamin dans sa Petite histoire de la photographie: «Une photo des usines Krupp ou de l’AEG ne révèle rien de ces institutions». On pourrait en dire autant des banques des paradis fiscaux dont les photographies de façades ne disent rien de la réalité de cette économie secrète.
Â
Pour y remédier, l’artiste crée des analogies et joue des connotations et du pouvoir d’évocation de ses images. La «méta-photographie» de Philippe Durand consiste à photographier une chose pour en évoquer une autre. Ainsi, devant ce mur de casiers verrouillés de postes-restantes, on ne peut qu’avoir l’impression d’être entré dans l’inaccessible salle des coffres de la finance la plus douteuse. De la même manière, les fils électriques mangés par la végétation font penser aux flux financiers du capitalisme mondialisé. Ainsi, face aux limites de la photographie, l’artiste en appelle à l’imaginaire du regardeur.
Philippe Durand
— Offshore, 2008. Photographie.